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Riad Sattouf : “Tenter d’être rigolo, c’est une politesse pour remercier les gens de leur attention”

Quand as-tu eu envie de prolonger L’Arabe du futur avec Moi, Fadi le Frère Volé qui raconte ce qui est arrivé à ton frère enlevé par ton père ? 

Riad Sattouf – Quand en 2011 j’ai retrouvé mon frère que je n’avais pas vu pendant vingt ans, j’étais avide de réponses à mes nombreuses questions. J’ai grandi avec ce que j’appelle un frère fantôme, j’imaginais ce que c’était sa vie, je m’inquiétais pour lui. Ce sont les retrouvailles avec Fadi qui ont déclenché chez moi l’envie de faire l’Arabe du futur. Mais je ne pouvais pas laisser le lecteur seul face à son histoire. Elle avait quelque chose d’inracontable en l’état. Il fallait que je commence par la mienne. Tout le temps que j’ai passé sur L’Arabe du Futur – une jeunesse au Moyen-Orient, j’ai eu ce livre fantôme avec moi. Le livre est une excuse pour faire un travail personnel, sur l’histoire de ma famille. C’est tellement plus rassurant de se lancer dans cette archéologie familiale, dans les couloirs du temps, accompagné par des milliers de lecteurs et de lectrices. Je ne suis pas très courageux seul… 

Pourquoi maintenant ?

Hier, je regardais le sketch culte des Inconnus où Didier Bourdon joue le peintre Juan Romano Chucalescu pour se moquer de la prétention artistique. À un moment, il dit (Riad imite, ndr) : “ce n’est moi qui vais vers la toile, c’est la toile qui vient vers moiii”. Mais c’est pareil pour moi, à un moment, c’est l’histoire qui vient à moi, qui demande à être racontée. Je suis d’accord avec Stephen King quand il dit que l’écriture c’est comme l’archéologie, le but c’est d’enlever le sable autour du squelette de l’histoire. Les récits que je préfère – et j’ai essayé d’appliquer ça à mon propre travail – sont comme des plantes : tu plantes une graine, elle pousse et d’autres tiges grandissent. Parfois, des petites pousses ne donnent rien, parfois elles peuvent devenir une branche majeure de la plante. Je ne pourrais pas fabriquer de A à Z des histoires comme le font John Truby et Robert McKee (deux célèbres professeurs d’écriture, ndr) avec des vis, des actes bien troussés. La vie ne ressemble pas à ça.

Pour toi, les membres de ta famille sont devenus des personnages ?

Tous mes personnages ont pris leur place dans mes souvenirs, l’interprétation graphique de ce que j’en fais a remplacé les souvenirs réels, c’est drôle. Le dessin de ma grand-mère bretonne est par exemple éloigné de ce qu’elle était en vrai, quand je retombe sur des photos j’ai souvent du mal à la reconnaître en vrai.

On a le sentiment que tu as une mémoire incroyable…

Je n’ai pas l’impression d’avoir des superpouvoirs. La mémoire, c’est un muscle qu’il faut exercer. À partir d’une odeur ou d’autres choses, tes souvenirs peuvent s’agréger. Je me rappelle au moment du premier Arabe du Futur, il s’est passé quelque chose que je trouve incroyable. Il était trois heures du matin et je dessinais la maison de ma grand-mère où je n’étais jamais retourné depuis vingt ans. Et, là, sans raison, j’ai eu le souvenir olfactif de comment ça sentait à l’intérieur !

L’humour est pour toi un outil ?

Je ne pourrais pas me passer du pas de côté humoristique. Dans Moi, Fadi le frère volé, l’histoire est dramatique mais j’essaie d’avoir ce pas de côté à travers les tronches des gens. Il y a des gags quand même. Les récits au premier degré, j’ai l’impression qu’il leur manque quelque chose. Tenter d’être un peu rigolo c’est une politesse pour remercier les gens de leur attention. Quand un récit se prend trop au sérieux, est trop affecté, il en devient souvent comique malgré lui je trouve.

Tu suis de très près l’actualité au Moyen-Orient ?

Je me tiens au courant comme tout le monde, mais ne me sens pas plus concerné, parce que j’aurais des origines. Je suis très mal à l’aise avec l’identitarisme. Tout est violent dans l’histoire du Moyen- Orient, la façon dont l’Empire ottoman a été découpé, les frontières, tracées… Moi, j’ai connu la vie en Syrie à un instant T, dans mon petit village, c’est tout. J’ai encore à mon bureau mes livres de l’école. Les poèmes, avec lesquels les enfants apprenaient à lire l’arabe, invitaient au martyr et à tuer des Israéliens. Ces livres étaient édités à la fois pour le Liban, la Jordanie, l’Irak et la Syrie je crois. Je ne suis pas du tout un spécialiste mais je ne vois pas les choses s’arranger, au moins pour les 100 prochaines années…

Tu parlais des Inconnus, vous avez toujours ce projet de film ?

L’information s’est sue mais j’essaye d’éviter tout le temps de parler des projets avant qu’ils ne soient faits. Je vais continuer… C’est vrai que l’on a ce projet en cours. Moi ce sont mes idoles. J’ai eu la chance de faire des films sans avoir eu besoin de me battre pour y arriver. L’échec de mon deuxième a fait que je me suis rendu compte combien j’adorais la BD. Mais la possibilité de faire un film avec les Inconnus, même d’un point de vue humain, c’est impossible à refuser. Je les aime trop. 

En tant que lecteur, tu aimes la BD de science-fiction ou le fantastique, tu pourrais en faire ?

J’ai l’impression que Moi, Fadi c’est une sorte de science-fiction qui se passe sur une planète lointaine, l’histoire d’un humain amené dans un endroit lointain qui doit s’habituer à des nouveaux codes. C’est un peu comme Les Gardiens de la Galaxie en fait (rires) J’essaye toujours de mettre un peu de fantastique ou de surnaturel dans mes histoires. Pour moi, un livre c’est comme un artefact magique ; comme le Necronomicon d’Abdul al-Hazred, le livre qui rend fou, inventé par Lovecraft. Quand j’imagine un livre, j’imagine sa forme, j’essaie de le nimber de pouvoir. Lorsque j’avais tourné Les Beaux Gosses, j’avais visité le décor de la chambre du héros. J’avais l’impression que quelqu’un habitait vraiment là. Et avec toute l’équipe disposée dans la chambre, ça ressemblait très fortement aux représentations populaires des invocations démoniaques ! Il fallait faire apparaître l’esprit, qui habitait ici. Il y a quelque chose de magique dans cette idée de convoquer un pouvoir, quand on écrit ! 

L’Arabe du Futur – Moi, Fadi le frère volé tome 1 1986-1994 (Les Livres du Futur), 144p., 23€ 

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