Et revoilà la vieille arnaque de la baisse des dépenses en tendance
Oh, bien sûr, les situations politique et économique présentes de la France sont particulièrement délicates, pour ne pas dire explosives.
D’un côté, les comptes publics, bien partis pour se solder par un déficit de plus de 6 % du PIB à la fin de cette année, et ce dans un contexte de pression fiscale et d’endettement superlativement élevés, témoignent de l’absolue débandade des finances publiques. De l’autre, les élections législatives consécutives à la dissolution opérée par le Président de la République Emmanuel Macron au soir de la défaite de son camp lors des élections européennes de juin dernier ont donné naissance à trois grands blocs dont aucun ne dispose de la majorité absolue.
On imagine bien l’étau dans lequel le nouveau Premier ministre Michel Barnier (LR) doit tenter de se mouvoir. Il risque la double censure de l’Assemblée nationale et des marchés financiers à chaque petit pas. Et il est vrai également que le calendrier politique résultant de la dissolution ne laisse guère de temps au gouvernement pour réfléchir sérieusement à ce que devrait contenir le Projet de loi de finances pour l’année à venir (PLF 2025).
M. Barnier semble parfaitement conscient de tout cela. Il a admis en prenant son poste que ce qui l’attendait à Matignon serait difficile, mais il a aussi promis qu’il allait se « retrousser les manches » au nom d’une certaine idée qu’il se faisait de la France. Dans sa Déclaration de politique générale du 1er octobre dernier, il s’appuyait même sur un ordre de mission du général de Gaulle enjoignant à un aide de camp envoyé en 1942 aux États-Unis de « faire beaucoup avec peu » pour donner le ton des efforts que la France devait maintenant consentir. Fort bien.
Mais dans ce cas, pourquoi faut-il ensuite que nos hommes du budget retombent immédiatement dans leurs vieilles habitudes madrées visant à faire passer des hausses de dépenses publiques pour des baisses savamment orchestrées par les soins de leur expertise supérieure ?
Le PLF 2025 n’est pas encore connu, il ne sera transmis au Parlement que le jeudi 10 octobre. Mais un certain nombre de chiffres ont d’ores et déjà été annoncés par le Premier ministre et d’autres ont fuité dans la presse. Selon les propres déclarations de Michel Barnier, l’effort demandé aux Français en 2025 se monterait à 60 milliards d’euros répartis entre 40 milliards de baisses de dépenses et 20 milliards d’impôts supplémentaires. Un tiers d’effort en hausse de la fiscalité et deux tiers en baisse des dépenses. « Ce freinage, il est indispensable, sinon on va droit vers une crise financière, » a prévenu le Premier ministre dans la foulée.
Selon différents organes de presse en revanche (ici, ici et ici), le document de cadrage budgétaire transmis pour l’instant au seul Haut Conseil des finances publiques ferait état d’un effort de 39 milliards d’euros, donnant la part belle à l’accroissement des impôts (24 milliards) et ramenant les économies à réaliser à 15 milliards (*). Au final, les prélèvements obligatoires progresseraient de 42,8 % à 43,6 % du PIB, soit +0,8 points, tandis que les dépenses, quoique baissant de 56,8 % à 56,3 % relativement au PIB, augmenteraient néanmoins de 2,1 % en valeur entre 2024 et 2025, soit plus vite que l’inflation prévue.
De plus, si l’on voit bien où l’effort fiscal portera (principalement sur les 300 plus grosses entreprises et les 65 000 familles les plus riches), les pistes de baisse des dépenses restent plus floues et ressemblent pour certaines à de bonnes intentions fort aléatoires à mettre en œuvre. Ce qui fait craindre à un certain nombre de responsables politiques de droite ou macronistes qu’on se retrouve avec « un budget qu’aurait pu signer François Hollande » tandis que les socio-démocrates se réjouissent de voir que leur appel à plus de « justice fiscale » a été entendu.
Bercy persiste cependant à dire que l’effort demandé est bien de 60 milliards au total dont 40 milliards de baisse de dépenses. Le raisonnement est le suivant : si l’on ne fait rien, le déficit public atteindra 7 % du PIB en 2025. Or il est bien question de le ramener à 5 %, soit un mieux de 2 % de PIB, autrement dit à peu près 60 milliards. Bref, on nous refait le coup de la baisse « en tendance » bien connue des gouvernements français depuis des années. Les dépenses publiques vont augmenter mais moins vite qu’en 2024, donc en fait elles baissent (sic).
De budget en budget, l’enjeu est toujours le même : comment faire redescendre notre déficit public en-dessous des 3 % du PIB exigés par le Pacte de stabilité et de croissance de la zone euro ? Il y a deux possibilités : soit on augmente les recettes, c’est à dire les impôts et les cotisations sociales, soit on diminue les dépenses. Et chaque période budgétaire s’ouvre invariablement sur la même rengaine : cette fois, on le dit et on va le faire, on va économiser des milliards !
Et pourtant, quand on lit la presse à ce sujet, que ce soit aujourd’hui ou il y a dix ans, on est troublé par une petite formule qui vient et revient semer le doute sur la réalité de ces économies : « Par rapport à une tendance initiale de forte augmentation des dépenses », « par rapport à la hausse tendancielle », « par rapport à ce que serait leur accroissement naturel. » Cela signifie que les économies ne se réaliseront pas par une baisse effective des montants dépensés d’une année sur l’autre, mais par une augmentation plus faible que d’habitude.
Prenons un exemple : en 2023 vous avez dépensé 80, puis en 2024 vos dépenses sont passées « naturellement » à 100. Selon les économies à la sauce Bercynoise, vous êtes dans une hausse tendancielle de 20, mais par un superbe effort de volonté vous décidez de limiter la hausse à 10 pour 2025. Vous avez donc économisé 10 tout en portant le montant de la dépense à 110, soit une augmentation réelle de 10 %.
Patientons encore quelques jours et nous verrons effectivement de quoi le PLF 2025 sera fait. Mais permettez-moi de m’inquiéter. Comment les anciennes méthodes bâties sur l’illusion de la baisse des dépenses publiques, ces méthodes qui nous ont menés d’année en année au point de proche faillite où nous sentons que nous sommes en train d’arriver – comment, donc, ces méthodes pourraient-elles déboucher sur un autre résultat que celui qu’on a toujours connu, c’est-à-dire l’aggravation de nos comptes publics ?
La baisse des dépenses publiques dont nous avons besoin est d’une tout autre ampleur et elle exige une méthode bien différente de celle qui se contente de petits mouvements de curseurs « en tendance ». Les pouvoirs publics doivent examiner leurs dépenses ligne à ligne, en renforcer certaines, en éliminer d’autres et en réduire d’autres encore, non sans que le pays ait procédé au préalable à une analyse sans concessions des missions de l’État et des avantages et des inconvénients de notre modèle social.
Je pense pour ma part que si le fondement politique de tout nouveau gouvernement consiste à sauver ce modèle social coûte que coûte et à réparer les carences de la gestion de l’État en taxant systématiquement les forces productives du pays comme on le fait depuis trop longtemps, il ne nous restera plus que nos yeux pour pleurer.
(*) Edit du 10 octobre 2024 : le PLF 2025 ainsi que l’avis [1] du Haut Conseil des finances publiques ont été publiés ce jour. Pour ce dernier, « l’effort » demandé se monte finalement à 42 milliards d’euros, dont 30 milliards en prélèvements obligatoires (soit 71,4 %) et 12 milliards en baisse de dépenses (soit 28,6 %). On est loin du 1/3 impôts et 2/3 dépenses claironné partout par Michel Barnier.