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Sébastien Deguy, Clermontois vice-président d'Adobe : "Les IA m'empêchent de dormir"

Étudiant un peu rêveur, il observe les nuages au sommet du puy de Dôme. De là, il crée Allegorithmic, dont le logiciel est utilisé par les plus grands jeux vidéo. L’entreprise est vendue au géant de la Silicon Valley Adobe. Sébastien s’installe à San Francisco, devient l’un des vice-présidents de la boîte, reçoit l’an passé un Oscar technique pour sa contribution au cinéma (Avatar, Star Wars, Fall Out…) avec Substance Designer et renouvelle cette année avec un Emmy pour l’utilisation de son logiciel Substance Painter dans les plus grandes séries télé (The last of us, House of the Dragons, The Rings of power…). Avant cela, Sébastien était à Clermont, entre autres pour l’anniversaire d’un pote. L’occasion de discuter un peu.

Rencontre avec Sébastien Deguy, le Clermontois qui va créer le métaverse

Félicitations pour l’Emmy. Déjà l’an passé, l’Oscar…

C’est quand même fou. Parce que, regarde, il y a quoi ? 140.000 habitants à Clermont ? Et quatre personnes avec un Oscar technique. Et ben je me demande si on n’est pas la ville du monde où il y a le plus grand nombre d’Oscars techniques proportionnellement à la population.

Tu refuses toujours de parler de toi pour mettre ton équipe en avant. Combien de personnes bossent avec toi ?

Alors mon équipe totale, on doit être à peu près 300 personnes, dans le monde. 50 à Clermont, ce qui augmente un peu, mais plutôt stable. On n’a pas besoin de mille personnes pour faire des belles choses. La preuve.

Et Clermont est toujours un centre important pour Substance 3D ?

Oui. Complètement. C’est le cœur du secteur. Et ça, ils l’ont bien compris chez Adobe. D’ailleurs, fondamentalement, tout le business de la 3D vient d’ici. Des bureaux que vous avez vus. Donc il n’y a pas de raison de casser ça. Et chez Adobe maintenant, il y a écrit « Adobe – San Francisco, Tokyo, Clermont-Ferrand ».

Tu voulais écrire un livre pour l’anniversaire d’Allegorithmic. 

Je l’ai fait, ça y est. Il y a même une version anglaise qui sort bientôt, publiée par CRC Press. La version française, je l’ai publiée à mes frais. Bon, déjà, je l’ai écrite avant ChatGPT, je suis pas très malin. J’ai fait 500 exemplaires et donner surtout aux équipes. Mais ce n’est pas un bouquin de management. Ce qui a marché pour nous, ne marcherait peut-être pas pour d’autres. Et d’ailleurs c’est marrant, Adobe a fait une étude interne sur les acquisitions des dix dernières années. Et Allegorithmic est considéré comme l’une des deux meilleures acquisitions. Entre autres, parce que 97 % des équipes sont toujours là.

Oui, oui, on est cool chez Adobe Clermont. 

De quoi es-tu le plus fier ? Être dans les plus grands jeux vidéo, les plus grandes séries, les plus grands films ? Que tes équipes soient toujours là ? Le succès personnel ?

Je trouve que les Emmy Awards ou l’Oscar, ça c’est fantastique. Pourquoi ? Parce que c’est une reconnaissance du travail des équipes et de l’impact. Moi, avant d’être un geek, j’ai adoré le jeu vidéo, le cinéma… J’ai essayé d’entrer à la FEMIS (célèbre école de cinéma) avant de faire une thèse. Donc finalement, revenir un peu par la porte de la tech dans le monde du cinéma, tu vois, ça me touche. Et il y a un côté hyper excitant de faire quelque chose que personne n’a fait. Moi j’adore ça. Quand une belle scène de Star Wars sort grâce à nos outils… Quand les meilleurs jeux vidéo du monde offrent des univers graphiques incroyables grâce à nos outils… Et c’est une fierté d’avoir fait ça de façon clean, de façon solide. Humainement, éthiquement.

Et tes albums de rap, ça progresse ?

Ah oui. Avec Raekwon et Gosthface Killah (membre du mythique groupe Wu Tang Clan). Avec Killer Mike aussi, qui a eu un Grammy depuis, donc attention. Hier justement, je signais un truc avec des avocats spécialisés pour finaliser. C’est un album double. Un qui est très hip-hop. Et l’autre avec l’orchestre Lamoureux à Paris. Attends, je te fais écouter… (on a écouté, on vous conseille).

Et ça sort quand ?

J’ai un deal avec Believe et on va le sortir, je ne sais pas quand, ni comment, mais on va le sortir.

On peut parler un peu de 3D, quand même. Toi aujourd’hui, tu ne codes plus, ton boulot c’est quoi ?

La vision stratégique. Ça fait très très longtemps que je n’ai pas codé.

La dernière fois, tu me disais que la réalité augmentée pouvait percer. Vous attendiez après Apple. 

Ça reste un environnement qui est très expérimental. Même le Vision Pro d’Apple. J’en ai un et il prend la poussière. Bon, si vous n’avez pas essayé, c’est vraiment incroyable mais très cher. Très très cher. Et donc ça a été réservé d’abord à des développeurs. En fait, ils ont sorti une plateforme de développement pour que des gens commencent à créer des applications. Mais il n’y a pas eu la killerapp, comme disent les Américains. Un truc qui fait que tout le monde veut acheter le Vision Pro.

Tu vois comment ? Dans 20 ou 30 ans, on aura tous les masques de réalité augmentée ?

Oui, mais dans cet ordre de grandeur là. À partir du moment, ça sera dans ces trucs-là (Sébastien montre ses lunettes) et qu’on pourra choisir le style… Parce que c’est ça aussi, c’est une question de style. Ça (Sébastien montre son smartphone), c’est un objet de style aussi. Mais ça va prendre beaucoup de temps parce qu’il y a des questions de physique. Quand quelque chose calcule, ça chauffe. Et là, ça chauffe trop près des yeux, du visage, de la peau. Il y a aussi des problématiques de batterie et donc de poids.

Vu de l’extérieur, ce sont des sujets aussi excitants qu’effrayants. Et pour toi qui es dedans ?

Pareil. En tant que technologiste, je trouve ça incroyable et hyper intéressant. Mais en tant que père et humain… Je vois mon fils qui passe déjà son temps sur son téléphone, ça me stresse. Et puis il ne regarde pas que des trucs intelligents. En 2020, on a réalisé que la technologie, dont on était très content avant, commençait à nous enfermer. Les réseaux sociaux entre autres. On reçoit des informations, certes, mais c’est un biais de confirmation. Du coup, si on regarde un truc un tout petit peu trop, ça va extrémiser tout de suite nos contenus et nos pensées et donc ça éloigne les gens. Si on ne voit plus les gens, on n’a plus nos shoots d’ocytocine. Et on devient des monstres bouffés par nos hormones et nos haines. Et pourtant, moi, je suis un introverti.

Et les IA ?

Aaaaah. Alors là, c’est vraiment le sujet qui m’empêche de dormir. Vraiment. Cela va faire monter le niveau global, c’est sûr. Mais est-ce que les talents pourront toujours émerger ? Il faut que l’IA servent les talents, pas qu’elle les remplace. Mais est-ce que les gens iront chercher les productions de qualité, ou est-ce qu’ils vont se contenter de la masse ? Comme on voit sur TikTok en ce moment.

Et toi tu es au cœur du monde de demain. C’est comment d’ailleurs San Francisco ? C’est déjà le futur ?

C’est complètement le futur. Ce qui est marrant d’ailleurs, ce sont les voitures sans chauffeur. Il y en a partout. Et ça marche. C’est étrange San Francisco. À la fois, les avancées technologiques sont naturellement intégrées dans le quotidien et à la fois ça reste très hippie. Des gens qui surfent, qui prônent le slow life. J’ai acheté une Tesla où je ne touche plus le volant. C’est un peu chiant parce qu’elle roule doucement, mais bon…

Tu le sens au quotidien ? Tu sens que tu es au cœur du cyclone ?

Complètement, parce que régulièrement je me retrouve dans des réunions avec les big boss de telle boîte ou telle boîte et puis on discute de ce qu’ils vont faire. Des fois, je me pince. On discute de choses… Comment dire ? Personne ne va plus loin. C’est l’horizon. Intellectuellement, c’est hyper excitant.

Et il y a des complots pour dominer le monde alors ?

(Rires) Non. Ou alors ils ne m’ont pas contacté. 

Propos recueillis par Simon Antony

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