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Charlotte Le Bon convaincante en Niki de Saint Phalle

Niki est un biopic plein d’émotion sur la plasticienne Niki de Saint Phalle. C’est le premier film de Céline Sallette. En salle depuis mercredi dernier.   


Lors de son ouverture en 1977, le centre Georges-Pompidou avait mis en avant quelques œuvres révolutionnaires en sa possession, telle une Nana de Niki de Saint Phalle, représentation d’un corps féminin obèse et informe, aux couleurs criardes, qui trônait majestueusement au milieu du Musée d’art moderne. J’étais très jeune alors, et l’on m’avait emmené voir cette sculpture déjà renommée, parmi quelques autres qui sans doute me frappèrent moins.

Nana, Hanovre (Allemagne). DR.

J’en tirai l’idée préconçue que Niki de Saint Phalle s’était représentée elle-même, et qu’elle possédait dans la réalité ce physique monstrueux ! Cette conclusion enfantine perdura en moi très longtemps ‒ peut-être même jusqu’à aujourd’hui, où un film, un biopic, nous rend enfin, et pour l’éternité peut-être, la vraie silhouette, frêle et longiligne, de Niki, sa grâce innée et sa jeunesse pleine d’esprit.

Une ressemblance frappante

Il existe d’ailleurs entre Niki de Saint Phalle et l’actrice choisie pour l’incarner, la Québécoise Charlotte Le Bon, une ressemblance physique frappante. Cette incarnation est littéralement une réincarnation. Il faut savoir en plus que le parcours de Charlotte Le Bon n’est pas sans points communs avec celui de Niki : le mannequinat, et un grand intérêt pour les arts plastiques. Notons, dans ce sens, que Charlotte Le Bon a réalisé un long métrage, Falcon, en 2022, qui a reçu le prix Louis-Delluc du premier film la même année. Par sa seule présence dans Niki, Charlotte Le Bon, ancienne « miss météo » sur Canal+, apporte donc indirectement un démenti complet à ma première impression ressentie à Beaubourg en 1977, au sujet de laquelle je me perds évidemment en conjectures.

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L’éclosion du génie

Niki est non seulement un premier film, mais le premier film d’une actrice. Céline Sallette, après avoir interprété un grand nombre de rôles au cinéma, s’est mise à ce biopic sur Niki de Saint Phalle avec une grande conviction et une certaine réussite. Il a été sélectionné à Cannes cette année dans la catégorie « Un certain regard ». Ce qui intéresse Céline Sallette, avant tout, c’est de montrer l’éclosion du génie artistique de Niki de Saint Phalle. Née en 1930 dans une famille étouffante de l’aristocratie, de mère américaine et de père français, la jeune Niki décide de s’enfuir en France, pays de la liberté. Elle révélera bien plus tard avoir été victime d’un inceste de la part de son père. Cet événement aggravera très probablement son état psychique, déjà fragile et vulnérable. Le médecin qui s’occupe d’elle, un psychiatre équivoque, la fera interner dans un service spécialisé. C’est là pourtant qu’elle découvrira sa vocation artistique, que rien ne laissait présager. « J’ai besoin de faire quelque chose… se lamente-t-elle. Je veux faire ma création à moi, c’est ma vocation… Je l’ai trouvée chez les fous. » Et en effet, la pratique de l’art viendra quasiment à bout de ses tentations suicidaires.

Mettre toute la gomme

De ses deux maris, Harry Mathews et Jean Tinguely, c’est sans conteste le second qui l’épaulera le plus et qui la comprendra le mieux. Elle créera même des œuvres avec lui. L’inspiration de Niki de Saint Phalle, quoique artiste autodidacte, est à rechercher dans les courants ultramodernistes des années soixante, comme les « Nouveaux Réalistes », et sans doute aussi chez un peintre comme Jean Dubuffet, inventeur de l’art brut. Niki excellait également dans la performance, par exemple dans les fameux Tirs, où elle déchargeait des cartouches de couleur avec un fusil de chasse sur des toiles peintes, pour se libérer, disait-elle au public, de la colère qu’il y avait en elle. Voulant s’imposer légitimement dans le monde de l’art, Niki de Saint Phalle dut faire preuve de beaucoup de persévérance, afin de lever les obstacles. Tout le monde, dans son entourage, avait tendance à lui signifier que sa sculpture ne valait rien, ou qu’elle n’était pour elle qu’une occupation de femme au foyer. À chaque fois, elle se remettait en question, décidant d’aller plus loin encore et de mettre toute la gomme, pour reprendre l’expression de Jean Tinguely.

La douleur d’être au monde

Niki ressentait une douleur à vivre, malgré les joies de la création. C’est cette douleur qu’elle exprime dans son travail et que le film fait si bien ressentir. Céline Sallette n’a pas eu le droit de montrer des œuvres de l’artiste, ce qui ne gêne, selon moi, en rien le bon déroulement de son film. Car au fond, Niki n’a fait que représenter, grâce à son génie, le monde qui l’entourait, certes au filtre de son âme. Et ce monde ne bouge pas, il est toujours le nôtre aujourd’hui encore. L’œuvre même de Niki de Saint Palle, c’est la réalité du « il y a », comme le proclamait déjà Rimbaud dans ses Illuminations (cf. « Enfance », § III): « Au bois, écrit Rimbaud, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir. Etc., etc. »

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Niki est un film sur l’enfance et la jeunesse, et le surgissement spécial d’une artiste particulièrement attachante. Céline Sallette y met beaucoup de vigueur et de mordant, notamment quand elle décrit les relations amoureuses à fleur de peau de Niki. On se dit alors que ce cinéma-là, quand il arrive ainsi à ces sortes de paroxysmes, se place dans la lignée de ceux de Pialat ou de Breillat. Niki n’est heureusement pas un biopic à l’américaine, mais un film subtil, de bonne foi, qui permet qu’une véritable rencontre se produise et que, donc, le spectateur ressorte de la projection meilleur qu’il n’y était entré.

Niki, film de Céline Sallette. Biopic, 1h 38. Avec Charlotte Le Bon. En salle depuis mercredi dernier.

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