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“Miséricorde”, une nouvelle virée galvanisante au pays d’Alain Guiraudie

“Alors c’est comme ça que vous cherchez des champignons ?”, glisse malicieusement l’abbé du nouveau film d’Alain Guiraudie (incarné par un génial Jacques Develay) lorsqu’il surprend deux amis d’enfance en pleine chamaillerie sur l’humus. C’est que l’un des deux (Félix Kysyl) vient de débarquer dans son village natal pour l’enterrement de son ancien boulanger de patron et que l’autre (Jean-Baptiste Durand) ne supporte pas qu’il se soit installé chez sa veuve de mère (Catherine Frot), et qu’il fréquente leur ami d’enfance commun (David Ayala).

Les réalisations de Guiraudie sont des affaires d’incursions aventureuses, tantôt façon promenade bucolique (Ce vieux rêve qui bouge, 2001, et Rester vertical, 2016), tantôt façon mortal cruising (L’Inconnu du lac, 2013) ou amours buissonnières (Le Roi de l’évasion, 2009). Ici, elles prennent la forme d’un retour au pays, dans la petite commune cévenole de Saint-Martial. Chez Guiraudie, le désir, c’est comme les champignons : il pousse là où on ne l’attend pas, quand on ne s’y attend pas, et revêt des formes imprévisibles. Tandis que sa consommation s’avère tantôt fatale, tantôt divine, une chose est sûre cependant : ça germe sur la terre. Adapté d’une partie de son roman Rabalaïre (2021), le film s’amuse de la circulation du désir, mais avec une chasteté qui démultiplie les frustrations érotiques des un·es et des autres.

À la manière du Théorème de Pasolini, mais retourné comme une chaussette, son personnage principal semble être attiré par tous, excepté le seul qui le désire absolument. C’est de la tragédie de cet amour solitaire que Miséricorde tire son suc et son extrême drôlerie. Les points de tensions érotiques prolifèrent dans le morne décor d’une campagne d’autant plus abandonnée qu’elle vient de perdre son seul boulanger. Si les phallus restent, à une exception près, bien rangés dans leurs slips, petits et (très) grands, ils poussent aussi sur le sol. Sans qu’on arrive à mettre la main dessus, ils sont partout – pas très étonnant quand on apprend que saint Martial est l’apôtre des Gaules. Truculent et turgescent, le plaisir du film se vit dans sa retenue à complètement embrasser l’une ou l’autre de ces pistes, du polar pastoral à la chronique de la France de derrière les rideaux.

Et alors que le désir résiste à sa consommation, Miséricorde finit par accoucher d’un éloge à la tendresse de l’abbé, saint homme infidèle aux lois des hommes et des dieux, mais fidèle à celle de son cœur. Sa bonté finit par contaminer le film tout entier, qui se termine par l’étreinte d’une main. Spirituel comme nul autre, alliant gravité et légèreté, tout en étant puissamment gai, Miséricorde propose une nouvelle virée galvanisante en pays guiraudien.

Miséricorde d’Alain Guiraudie, avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay (Fr., Esp., Por., 2024, 1 h 42). En salle le 16 octobre.

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