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Doliprane dans l'escarcelle américaine : la fièvre monte en France

Le paracétamol, sous toutes ses marques, et ses dosages, a représenté, en 2023, près de 19 % des boîtes de médicaments remboursés par l’Assurance-maladie, sans compter les consommations à l’hôpital. Depuis la crise du Covid, il est devenu un enjeu de souveraineté nationale et le retour de la production de son principe actif, prévu à la fin de 2025, semblait assurer de solides garanties de relocalisation à la production.

12 % du chiffre d’affaires

Mais patatras ! Voilà que le Doliprane, le fleuron avec 453 millions de boîtes produites par an dans les deux usines de Sanofi (Lisieux dans le Calvados et Compiègne dans l’Oise), est en passe de tomber dans l’escarcelle américaine. Le laboratoire pharmaceutique français a annoncé vendredi dernier qu’il était en négociations avancées pour céder 50 % de sa filiale Opella (dédiée à la santé grand public) à CD & R, un fonds d’investissement.

Comment expliquer un tel scénario alors que le Doliprane concentre 12 % du chiffre d’affaires (43,1 milliards d’euros) de Sanofi, sans parler de la Lysopaïne, le Maalox ou le Novanuit du même Opella, autres vedettes des médicaments en vente libre ?

« Depuis une vingtaine d’années, la stratégie de Sanofi est de garder les anciens médicaments en France et de développer les nouveaux médicaments aux États-Unis, en investissant dans la recherche sur des plateformes en Nouvelle-Angleterre, à Boston et à Chicago, renseigne l’économiste et universitaire Christian Saint-Étienne. Les moyens de financement de la recherche en biotech sont beaucoup plus développés aux États-Unis et le contexte plus favorable au développement des entreprises qu’en France. »

90 % des Français

Sanofi, outre les vaccins, parie sur l’immunologie pour assurer son avenir et ces nouveaux médicaments, qui traitent les maladies rares, complexes, les cancers très lourds, sont nettement plus rémunérateurs qu’un vulgaire antalgique. La recherche de rentabilité, ou de compétitivité, selon les règles du marché, a donc conduit Sanofi à se délester d’une partie de cette branche moins lucrative.

 

Dire que ces médicaments sont du passé parce qu’ils ont une faible valeur ajoutée, alors que 90 % des Français les utilisent, c‘est un manque de respect pour la population.

« Au-delà de la financiarisation de la santé, si nous avions des fonds d’investissement français beaucoup plus puissants, on éviterait ces situations à répétition », fait remarquer l’analyste des politiques publiques. L’offre du fonds PAI Partners, conduite par des Français avec des investisseurs étrangers, était pourtant équivalente, a priori, aux 15 milliards d’euros mis sur la table par CD & R. Mais le fait que les États-Unis soient le premier marché d’Opella, avec près de 25 % du chiffre d’affaires, a sans doute pesé dans la balance. Jeudi, rebondissement : PAI a amélioré son offre « à hauteur de 200 millions d’euros supplémentaires ». L’offre est valable jusqu’à dimanche soir. Sanofi reviendra-t-il sur sa décision ?

L’argent des contribuables

Cette « affaire » donne la fièvre à la classe politique, en particulier à gauche. Car, comme l’a rappelé Olivier Faure, le patron du PS, outre la souveraineté nationale en jeu, il s’agit aussi d’argent public. Sanofi a bénéficié notamment d’1,5 milliard d’euros sur dix ans de réductions fiscales pour financer ses activités de recherche & développement. La direction du groupe, elle, avance d’autres chiffres pour rassurer le consommateur : 50 millions d’euros investis en dix ans sur le site de Lisieux et 20 millions supplémentaires pour augmenter de 40 % la capacité de production du Doliprane dans les prochaines années.

L’approvisionnement en paracétamol a connu des périodes de tensions récemment. Dans l’hypothèse d’une nouvelle pénurie, une « priorité » pourrait-elle être « accordée » aux citoyens des États-Unis, comme le laisse entendre Olivier Faure, si Doliprane passait sous pavillon américain ? « C’est techniquement possible mais dans la mesure où les usines resteraient sur le sol français, le gouvernement pourrait procéder par réquisition », indique Christian Saint-Étienne.

« Ce qui m’inquiète le plus, poursuit-il, c’est que l’acheteur américain baisse progressivement les investissements en France tout en s’appropriant les technologies et les brevets. Et qu’on se retrouve, à terme, avec une entreprise affaiblie et des fermetures d’usines. »

Face à la polémique qui enfle de jour en jour, le gouvernement tente d’éteindre l’incendie. Présent sur le site de production de Lisieux lundi, le ministre de l’Économie a déclaré que « le Doliprane continuera à être produit en France » et que la « souveraineté industrielle » sera maintenue.

Quelles sont les armes ?

Dès le lendemain, Antoine Armand annonçait à l’Assemblée nationale une « possible présence de l’État au conseil d’administration » ainsi que sa « participation au capital » d’Opella. L’option de « bloquer cette vente » si les « engagements n’étaient pas pris » est « tout à fait sur la table », affirme même le ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci.

« Sans bloquer, nous disposons d’une loi qui protège nos entreprises surtout lorsque l’investisseur n’est pas européen, fait valoir Christian Saint-Étienne. Le gouvernement français pourrait interdire, sous peine de sanctions lourdes, la délocalisation des centres de décision et des centres de recherche. Ensuite, il existe des golden share, une forme spécifique d’actionnariat où l’État dispose d’un droit de regard et de veto sur toutes les décisions stratégiques majeures. Je m’étonne qu’aucun ministre ne le mentionne car c’est le moyen de garder le contrôle politique sur cette opération même en cas de changement de gouvernement. »  

Car même si les Pouvoirs publics obtiennent de Sanofi des garanties sur la production et sur l’emploi des 1.700 salariés d’Opella, « que vaudront-elles dans cinq ans ? », interroge l’économiste.

Nathalie Van Praagh

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