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"A ce stade, il ne doit pas parler" : l'affaire Mbappé vue par un spécialiste en communication

Que vous inspire la communication du clan Mbappé autour de cette affaire ?

« On est dans un exercice imposé, dans une séquence où c'est aux avocats, aux experts du droit de prendre la parole, où chaque mot doit être pesé, mesuré avec beaucoup de précision. »

C'est pour cela que l'avocate est allée très vite sur le plateau du JT de TF1 ?

« Oui, d'autant qu'ils ne peuvent pas ne pas parler. Sur ce type de sujet, à l'heure du post "Me too", garder le silence, c'est presque faire un aveu de culpabilité. Et compte tenu de la sensibilité de l'affaire, il faut que la prise de parole soit le fait d'un professionnel. Il y a un moment où Mbappé prendra la parole, quand il faudra peut-être reconstruire son image. Mais à ce stade de l'affaire, il ne doit pas parler. » 

— Kylian Mbappé (@KMbappe) October 14, 2024

Il l'a pourtant fait, dès le lundi soir, sur X...

« On peut s'étonner de cette première sortie de Mbappé quand il dit "Fake news". Elle n'a pas prêté à conséquence mais ça relevait plutôt de la maladresse. Avec ce type d'affaire, on est souvent face à un iceberg. Il y a une partie émergée que tout le monde voit, et une partie immergée à laquelle on n'a pas accès. Au moment où l'on se parle, Mbappé n'a pas l'identité de la personne, ni la nature des faits qui lui sont reprochés. Il n'a aucune information sur la célérité ou pas de l'instruction, il ne sait absolument rien. Donc prendre la parole à ce moment-là, et de façon aussi péremptoire, c'était risqué. » 

Que se passerait-il s'il donnait sa version maintenant ?

« Ça n'apporterait rien. Il risquerait de brouiller davantage son image. Imaginons que Mbappé sorte du bois pour dire ce qui s'est passé. Automatiquement, cela provoquera une réaction du camp adverse qui va proposer un autre récit. Actuellement, la jeune femme n'existe pas, elle n'est pas incarnée, donc il n'y a pas de registre émotionnel. Mais si celui-ci finit par apparaître, c'est une bataille que Mbappé, à ce stade, ne peut pas gagner. Donc, on laisse faire les professionnels. Si c'était mon client, je lui déconseillerais toute prise de parole, y compris les communications avec le Real Madrid, où on le voit à la salle de sport en train de bander les muscles. Il veut démontrer qu'il est serein, qu'il ne se sent pas concerné, mais ça peut donner l'image d'une certaine légèreté. »

On parle beaucoup de communication de crise, qu'est-ce que cela implique ?

« Cela implique une capacité à proposer un contre-récit. De générer un autre narratif. Pour le cas Mbappé, on parle désormais de relation consentie, donc il y a un narratif qui est en train de se créer. Ce qui est impératif pour eux, c'est de circonscrire un périmètre narratif, et de faire en sorte que les médias restent dans ce périmètre, qui doit ensuite venir prendre la place du narratif suédois, qui serait sous "pilotage parisien" d'après Mbappé. »

Croyez-vous à ce "pilotage parisien", ou à un "qui veut la peau de Kylian Mbappé" ?

« Je ne sais pas. Mais il faut noter que plus on approchait du procès (*), plus on avait le sentiment que des relais qataris ou du PSG s'exprimaient dans les médias pour pourfendre Mbappé. Je pense aux prises de parole de Cyril Hanouna, Nicolas Sarkozy, qui sont des proches de Nasser al-Khelaïfi et qui n'épargnaient pas Kylian Mbappé. »

(*) Dans le conflit des 55 millions d'euros d'impayés que réclame le joueur à son ancien club, la commission paritaire des recours de la LFP a mis l'affaire en délibéré, mardi.

« Ce que vit Mbappé, c'est le syndrome d'Icare »

Avant cette affaire, l'image du joueur s'était dégradée auprès de l'opinion publique. Quel regard posez-vous sur ce changement ?

« Mbappé, sur le plan de la communication, était vraiment un ovni. On n'a jamais vu un sportif avoir une communication aussi méthodique. C'est un sportif qui produit énormément de discours, pour produire un impact. Il a aussi eu de la transgression, quand il a refusé de poser, en équipe de France, avec certains sponsors qui font vivre la FFF. Il a su se mettre l'opinion publique de son côté. Sa communication n'a pas changé, mais quand il prend la parole dans le cadre des législatives, il prend le risque de s'aliéner une partie de l'électorat et donc de l'opinion publique. Fondamentalement, sa communication est moins bonne car il n'est plus au diapason de l'opinion. Ce que vit Mbappé, c'est le syndrome d'Icare. Il n'est pas encore démonétisé, mais tout ce qu'il avait réussi à construire est en train d'être déconstruit méthodiquement. On a un joueur qui est en perte de popularité et à qui il arrive une affaire qui va encore attenter à sa popularité. »

Ses performances sportives jouent également un rôle...

« Le juge de paix du sportif, c'est le terrain. Il sort d'une saison avec le PSG où il n'a pas été bon, il sort d'un Euro raté. Additionnez ça à tout ce qui a été dit avant, vous créez les conditions d'un désamour naissant. Et sa communication, très méthodique et chirurgicale, renvoie l'image de quelqu'un d'un peu froid. Entre l'homme et le pays, il y a peu de liens, fondamentalement. Si on reprend les trois fonctions de la rhétorique, il est très bon sur le logos (le discours), il est bon sur l'ethos car ce qu'il dit correspond à ce qu'il incarne, mais pour tout ce qui relève du pathos, sa communication est lacunaire. C'est le bon élève, mais il faudrait qu'il devienne le bon copain, ce que Griezmann a su être. »

« Pour le moment, il n'y a rien. Il n'y a que du bruit »

Comment désamorcer, désormais ?

« Il faut laisser le temps de l'instruction, avoir le plus d'éléments et attendre un tarissement des informations provenant du camp d'en face, pour attendre le bon moment de reprendre la main. Même si on peut se projeter sur certaines conséquences, mais pour le moment il n'y a rien. Il n'y a que du bruit. »

Économiquement, quelle peut être la réaction de ses sponsors ?

« On a vu qu'il avait été "effacé" d'une pub par le Real, qui a sorti une excuse qui ne tient pas la route. Mais c'est encore trop tôt pour le dire. Si la figure de la victime commence à être incarnée, si elle raconte ce qui lui est arrivé, ça pourrait provoquer un désengagement des sponsors. Malgré tout, quand on regarde certains sondages, Mbappé reste un sportif populaire. Chez les jeunes surtout, où c'est une figure identificatrice. Il a incarné le rêve de nombreux parents : avoir un gamin qui joue très bien au foot, qui travaille bien à l'école. Donc, il y a un risque. »

Propos recueillis par Laurent Calmut

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