Au Rwanda, la longue marche vers la transformation locale des ressources minières
Sous le ciel gris de Kigali, à l’entrée du LuNa Smelter, un bourdonnement mécanique se fait entendre. Dans cet immense hangar, des ouvriers supervisent les machines qui transforment la cassitérite extraite des collines rwandaises en étain pur. Le bruit sourd des fours et le cliquetis des convoyeurs tranchent avec le calme extérieur. « Ici, nous faisons bien plus que simplement extraire le minerai », explique un responsable d’usine, la voix à peine audible au milieu du vacarme. « Nous ajoutons de la valeur, nous produisons du métal prêt à être utilisé dans l’industrie mondiale. »
Le LuNa Smelter, situé en périphérie de Kigali, incarne l’une des grandes ambitions du Rwanda : transformer localement ses minerais pour capter une part plus importante de la chaîne de valeur. Bien que l’usine soit capable de produire jusqu’à 360 tonnes d’étain par mois, elle ne fonctionne actuellement qu’à 30 % de sa capacité. « Le défi est l’approvisionnement », ajoute le responsable. « Nous négocions déjà avec des pays voisins pour sécuriser davantage de matière première, notamment la cassitérite. »
Ce n’est qu’une des nombreuses infrastructures qui jalonnent la montée en puissance de l’industrie minière rwandaise. Non loin de là, la Gasabo Gold Refinery, rebaptisée Aldango Ltd en 2019, raffine de l’or à 99,99 % de pureté. Chaque jour, des ouvriers sont à la tâche dans cette unité aux fours, où des lingots sortent, prêts à rejoindre les marchés internationaux. « Nous produisons de l’or raffiné de haute qualité, mais le volume que nous traitons reste inférieur à nos capacités », confie un ingénieur de la raffinerie.
Le Rwanda qui se rêve en futur hub africain de l’industrie minière pourrait ainsi devenir une alternative pour les producteurs d’or africains comme le Mali, le Ghana ou la Tanzanie, obligés actuellement d’envoyer leurs lingots en Suisse ou en Afrique du Sud.
Des efforts incitatifs pour la transformation
Ces initiatives illustrent les efforts du pays des mille collines pour industrialiser son secteur minier. Depuis les années 2000, le pays s’efforce de passer d’une exploitation artisanale de ses ressources à une véritable industrialisation. Le gouvernement a mis en place un cadre fiscal incitatif en 2018, offrant des avantages aux investisseurs qui participent à la transformation des minerais. « Nous ne voulons plus simplement être des extracteurs. Le vrai développement passe par la transformation sur place », explique Donat Nsengumuremyi, Directeur de la division de l’extraction minière et de l’inspection à l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB).
Il faut aussi compter sur la création, en 2008, du Rwanda Development Board (RDB), l’agence en charge de promouvoir les investissements dans le pays. Directement rattachée à la présidence, elle a joué un rôle clé dans l’élaboration d’un cadre réglementaire attractif pour dynamiser le secteur minier. Depuis 2018, les investisseurs bénéficient d’une exonération d’impôts sur les revenus des sociétés pour une durée allant jusqu’à sept ans, à condition d’investir au moins 50 millions de dollars. De plus, les entreprises impliquées dans des projets d’exportation de minéraux transformés profitent d’un taux d’imposition réduit à 15 %.
« Nous avons récemment révisé notre cadre réglementaire, y compris le code et la politique minière, pour rendre les entreprises plus compétitives et faciliter leur conformité aux exigences réglementaires », explique Francis Gatare, PDG du RMB.
Ces réformes s’inscrivent dans le cadre de la Stratégie nationale de transformation, dont la version 2 annoncée début septembre 2024, vise à porter les revenus des exportations de minerais à 2,2 milliards de dollars d’ici 2029, contre 1,1 milliard de dollars générés en 2023. Ce montant représentait une progression de 43 % par rapport à 2022, faisant du secteur minier le plus grand contributeur aux 3,5 milliards de dollars générés par les exportations rwandaises cette même année. Cependant, seulement 30 à 40 % des gisements minéraux du Rwanda sont actuellement exploités.
La diversification enclenchée
Si l’étain, le tantale et le tungstène restent les pierres angulaires de l’industrie minière rwandaise, le gouvernement cherche également à diversifier ses sources de revenus. En janvier 2024, un accord a été signé avec Rio Tinto pour l’exploration du lithium, un métal essentiel à la fabrication des batteries pour véhicules électriques. Ce projet, situé dans le nord-est du pays, à Gicumbi et Nyagatare, pourrait permettre au Rwanda de se positionner comme un fournisseur clé dans la chaîne mondiale des énergies renouvelables.
Le coltan, composé de tantale et de niobium, est également au centre des préoccupations du gouvernement. Aujourd’hui, ces minerais sont souvent exportés sous forme brute. À Bugesera, une nouvelle raffinerie de coltan, conçue pour séparer le tantale du niobium, est en construction. Une fois opérationnelle, elle devrait permettre au Rwanda de capter une valeur ajoutée supplémentaire en transformant ces minerais sur place avant de les exporter. Mais ce projet, comme d’autres, se heurte à des obstacles de taille, notamment des défis liés à l’approvisionnement en matières premières et au financement.
Les défis de la transformation locale
Les petites entreprises minières manquent souvent de financement pour moderniser leurs équipements, et les infrastructures de transformation ne fonctionnent pas encore à plein régime. Le LuNa Smelter, par exemple, bien que capable de traiter 360 tonnes de cassitérite par mois, n’en reçoit actuellement qu’environ 100 à 120 tonnes.
En outre, les zones rurales continuent de dépendre de méthodes artisanales d’exploitation minière. « L’accès aux financements et la modernisation des équipements sont cruciaux pour que nous puissions augmenter notre productivité », souligne Nsengumuremyi. Des initiatives comme la formation des mineurs ou le développement de programmes de microcrédit sont en cours, mais elles ne suffisent pas encore à transformer radicalement le secteur.
Cependant, la lutte contre la contrebande et la traçabilité des minerais a connu un virage important. Depuis 2011, le Rwanda a mis en place des réglementations garantissant que 100 % des minerais extraits soient traçables depuis leur extraction jusqu’à leur exportation. Une initiative réussie, couronnée par la certification « exempte de conflits » du LuNa Smelter par la Responsible Minerals Initiative en février dernier.
Le Rwanda se développe de manière accélérée ces dernières années et il constitue l’un des pays africains les plus dynamiques. Néanmoins, la situation des libertés, tant sur le plan politique que sur le plan économique et social, doit encore s’améliorer de manière significative.