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L’assiette du voisin

« Rétropédalage » et « exemplarité ». Après avoir suscité un tollé, la hausse du budget de l’Élysée et des Assemblées, prévue par le projet de loi de finances, est annulée. C’est que l’augmentation des dotations initialement prévue était un « symbole » qui ne passait pas auprès des citoyens, explique-t-on.


C’est un des rares sujets qui fasse la quasi-unanimité des Français. Et j’assume de ne pas partager l’indignation de mes concitoyens. Le projet de Michel Barnier prévoyait une hausse de la dotation des Assemblées de 1,7% et de l’Élysée de 2,5 %. Bien sûr, c’est cette dernière qui a fait le plus scandale, tout le weekend dernier, prétendument parce qu’elle était supérieure à l’inflation. En réalité, parce que haïr Macron est un sport pratiqué par tout le monde, et que cela fait de vous un résistant (sans prendre le moindre risque).

« Pas audible »

Sur TF1, le 12 octobre, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin renvoie la balle aux parlementaires, tout en essayant vaguement et prudemment de défendre la mesure : les Français ont besoin d’institutions fortes. Un argument balayé par la journaliste, saluée depuis en héroïne pour cela: Vous ne pouvez pas dire aux Français qu’ils doivent faire des efforts quand l’Élysée, l’Assemblée et le Sénat sont épargnés, ce n’est « pas audible ». Sur les réseaux sociaux, on assiste à un festival de criailleries un peu dégoutantes. C’est nous les victimes du méchant pouvoir qui s’en met plein les poches.

Le ressentiment, affect dominant de la société française ?

Mais il y a le symbole, assure-t-on… Symbole de quoi, sinon du ressentiment général ? Nous parlons d’une hausse de 3 millions d’euros pour l’Élysée, de 11 millions pour l’Assemblée nationale, et de 6 millions pour le Sénat. Soit 20 millions au total, alors que nous recherchons à faire 60 milliards d’économies ! Je m’épargne la règle de trois – il y aurait trop de zéros… – mais c’est donc assurément négligeable. Supprimer cette augmentation n’améliorera pas le sort d’un seul Français. Et on ne devrait pas regarder à la dépense pour recevoir des chefs d’État étrangers, ou pour les déplacements du président de la République. On est la France.

À lire aussi, un autre son de cloche: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Dégoutants homards

Cette petite affaire est symptomatique des passions tristes qui empoisonnent la vie politique française depuis la Révolution. L’envie, la jalousie et la haine impuissante. Les salauds de puissants… C’est ce que j’appelle la théorie de l’assiette du voisin : l’important, ce n’est pas tant ce que j’ai, mais c’est que l’autre n’ait pas plus. Rappelez-vous du scandale des homards de François de Rugy, contraint de quitter son poste de président de l’Assemblée nationale en 2019 après la publication de photos d’un dîner par Mediapart.

Ces passions tristes accompagnent un autre mal français : l’irresponsabilité. C’est toujours la faute des autres. Selon Thierry Breton, invité de plusieurs médias cette semaine (après avoir démissionné de son poste de Commissaire européen), notre endettement s’explique largement par notre état social trop généreux, les 35 heures, etc. Mais, il ajoute que dès qu’on essaie de revenir sur une dépense en France, politiques et médias ne manquent pas de hurler immédiatement à la chasse aux pauvres (on se souvient par exemple de l’augmentation des APL de quelques euros) et tout le monde pense qu’on est revenu dans l’Angleterre du XIXe siècle… Si nous en sommes là, ce n’est pas seulement à cause d’Emmanuel Macron et des autres mais à cause de nous tous, qui nous comportons comme des créanciers à qui la collectivité doit toujours quelque chose et qui refusons obstinément de travailler une heure de plus. Quant à nos gouvernants soi-disant privilégiés, beaucoup, Macron en tête, gagneraient évidemment bien plus dans le privé et ne se feraient pas insulter toute la journée. Un jour, seuls des ignares et des imbéciles accepteront de faire de la politique.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin, dans la matinale

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