Question 7 de Richard Flanagan : un récit d'une puissance rare
Sur la quantité de romans qui paraissent à chaque rentrée littéraire, nombre d’entre eux sont bons, voire excellents. Ils sont très rares à être puissants, donner le sentiment d’une œuvre d’un intérêt et d’une profondeur exceptionnels. C’est le cas de Question 7.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le père de Richard Flanagan a été forçat dans une mine japonaise. Il en a réchappé, contrairement à beaucoup d'autres prisonniers. Comment cela a-t-il été possible ?
Un terrible paradoxeS'interrogeant sur ce destin paternel, Richard Flanagan a entrepris le voyage au Japon pour retrouver cette mine. En vain. Personne ne se souvient là-bas de son existence. L'absurdité de cet "oubli" amène l'auteur à revisiter l'Histoire pour identifier ce qui a sauvé son père. Seraient-ce les bombes atomiques larguées sur Hiroshima puis Nagasaki ?
Des calculs existent évaluant le nombre de morts en plus si cette guerre avait duré au-delà de 1945. On finit par comprendre que c'est à ces deux bombes que l'auteur impute la survie de son père. Horrible paradoxe considérant la folie et les morts d'Hiroshima et Nagasaki.
DocumentéCe roman, très documenté, raconte l'Histoire de la création de cette bombe, la façon dont elle a échappé de peu aux mains d'Hitler et l'engagement des Américains dans la course folle à sa mise au point. Il fait aussi entrer de manière récurrente dans la tête du colonel Paul Tibbets, qui a largué les bombes atomiques. Si ce roman se résumait à cela, il serait déjà fort.
Loin s'en faut... Le récit entremêle une diversité d'autres thèmes, l'Histoire de la Tasmanie, l'île australienne où Richard Flanagan est né et a grandi. Les références littéraires sont multiples, avec irruption dans le récit de H.G. Welles et Rebecca West.
Entrelacement de thèmes fortsOutre les interrogations sur la mémoire et l'oubli, Richard Flanagan revisite aussi sa jeunesse et, surtout, une expérience liée à la mort qui a radicalement changé sa vie.
Époustouflant : les thèmes se tissent entre eux de manière limpide pour le lecteur. Ils se nourrissent et s'enrichissent les uns les autres, créant l'incroyable profondeur du propos.
Au fait, pourquoi ce titre mystérieux : Question 7 ? Inspiré d'une nouvelle de Tchekhov, il exprime le projet de l'auteur. Pour lui dans ce livre, il s'agit d'explorer l'invisible et l'insoupçonnable dans ce qui donne à voir comme une réalité, autrement dit dans ce qui se trouve dans "la partie cachée de l'iceberg".
Question 7. De Richard Flanagan, traduction serge Chauvin, éditions Actes Sud, 285 pages, 22,50 €
Par Muriel Mingau