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Ils ont sauvé une petite scierie près d'Issoire et produisent des poutres ou du parquet en s'opposant aux coupes rases

« Franchement, bosser à l’usine ou construire des cages à lapins sur Clermont, ce n’était pas fait pour moi », lâche Jean-Pierre Serre, 50 ans, en rabotant des plinthes de hêtre. Le bruit de la machine couvre à peine le gargouillement du ruisseau de l’Astrou gonflé par l’orage de la veille. De toute évidence, Jean-Pierre usine du bois sur une machine-outil. Mais il ne se sent pas « à l’usine » dans cette scierie ouverte à tout vent.

Une reprise de l'activité de cette scierie traditionnelle il y a trois ans

Il faut dire que Jean-Pierre est aussi un peu le patron, il est l’un des quatre associés-salariés de la Scop (Société coopérative ouvrière de production) La Scie d’ici. Sur le CV de Jean-Pierre, il y a charpentier, chauffagiste, couvreur-zingueur. C’est le profil d’un Auvergnat qui a souvent changé de métier pour ne pas trop changer de coin.

C’est un excellent profil pour ce projet un peu fou : relancer une scierie locale alors que ce secteur d’activité à perdu 500 entreprises entre 2010 et 2020 au niveau national. L’hécatombe a frappé particulièrement les petites structures traditionnelles à l’instar de cette ancienne scierie Redon de Saint-Quentin-sur-Sauxillanges, rachetée par la Scop il y a trois ans.

Des compétences complémentaires sur le bois et la mécanique

« C’est grâce à Jean-Pierre et à ses compétences que nous avons pu autoconstruire un séchoir », se félicite Rik Verhoeve, 28 ans, associé et fondateur. Ce séchoir, qui est revenu à « 15.000 euros au lieu de 100.000 euros », est un atout technique majeur. Le chêne y sèche en un mois, le douglas en quatre jours. Rik, titulaire d’un BTS forestier et armé d’une première expérience dans la transformation du bois, a eu l’intuition qu’il lui fallait trouver des profils complémentaires au sien.

Chaudronnerie, mécanique, électricité : Mathieu Schirmer, 41 ans, sait aussi un peu tout faire. Dernier arrivé dans l’équipe, Mathieu a passé six mois à remettre en marche et à régler une scie multilames. Rik tient au passage à citer une compétence externe à l’équipe salariée : « On bénéficie des conseils de Pierre, un ingénieur retraité, qui installait des usines chez Michelin et nous aide pour les machines ».

Du parquet en hêtre local

Vu de l’état de santé du secteur, les scies d’occasion ne sont pas trop difficiles à trouver, « et elles sont plus faciles à conduire et à entretenir », se félicite Rik Verhoeve. Au bout du compte, ce redémarrage d’un outil industriel n’a mobilisé que 400.000 euros d’investissement.

Vie rurale la Scie d'ici scierie locale Scop Saint-Quentin-Sauxillanges : les produits de menuiserie sont un aces fort de développement Le plus étonnant reste l’étendue de la gamme de produits finis que peut proposer cette petite scierie de quatre salariés (dont un poste administratif) à la fois pour la construction et la menuiserie : des poutres mesurant jusqu’à 9,50 mètres de long, ainsi que des parquets, plinthes, bardages ou lambris. Le tout étant décliné dans différentes essences.

« En menuiserie, nous assemblons des panneaux de bois massifs à destination de ceux qui veulent réaliser des plans de travail ou des meubles par eux-mêmes »

. Et c’est probablement l’une des rares entreprises du Massif central à proposer du parquet en hêtre local dans son catalogue. La mairie de Pérignat-sur-Allier a passé commande de 240 mètres carrés.

Du bois tracé et non traité

Côté matière première, il suffit de lever le nez : « On a acheté des grumes qui provenaient d’arbres coupés sur le versant qui domine la scierie », s’amuse Rik. Chêne, hêtre, peuplier côté feuillus ; sapin pectiné, pin et douglas côté résineux : La Scie d’ici s’approvisionne essentiellement dans un rayon de 10 kilomètres. Au choix de valoriser des essences présentes localement s’ajoute une opposition aux coupes rases. 

« Nous nous approvisionnons en futaie irrégulière, donc à partir de coupes d’éclaircies. Nous travaillons beaucoup avec un gestionnaire forestier qui partage nos valeurs et nous essayons de faire évoluer d’autres partenaires qui s’en tiennent aux modèles d’exploitation industriels ». Argument massue pour le bois massif local, « tracé » et non traité : les tarifs pratiqués au bord de l’Astrou rivalisent avec ceux des grandes enseignes de matériaux ou de bricolage aux approvisionnements plus lointains.

Jean-Pierre Serre ne se sent pas à l'usine dans cette entreprise dont il est l'un des associés-salariés Aucun défi technique ne semble devoir résister à la Scie d’ici. Quand l’ancienne scierie Redon se rebranchera sur l’énergie gratuite que peut lui fournir la rivière, le circuit court sera bouclé. Devant la baisse des charges permise par le courant « alternatif », l’expert-comptable ne pourra que bondir de joie à la manière d’Angus Young. 

Un coup de pouce de la Doume, la monnaie locale du Puy-de-Dôme 

Vous le croirez ou pas, mais ce nom, « la Scie d’ici », est un hommage involontaire à un fameux groupe de metal australien branché sur le secteur. « C’est après-coup qu’on nous a fait la remarque que ça sonnait comme AC/DC en anglais », sourit Astrid Ursem, responsable administrative et associée de cette petite entreprise, dont le statut coopératif et la haute exigence environnementale ne doivent, eux, rien au hasard.

La commune de Sauxillanges expérimente depuis plusieurs années un développement axé sur les circuits courts. « C’est l’un de nos territoires les plus actifs », met en avant Danielle Nadal, responsable légale de l’association ADML63, qui a créé et gère la doume, la monnaie locale du Puy-de-Dôme (www.adml63.org).

Une partie des salaires est versée en doumes. photo francis campagnoni Astrid Ursem est l’une des promotrices de la doume à Sauxillanges et y a co-fondé un magasin associatif. L’Alternateur est ouvert depuis 2017, il fonctionne avec des bénévoles, des producteurs locaux et la doume y est en usage. « Elle représente aujourd’hui 8 % des transactions », indique Astrid.

Les promoteurs de la monnaie locale auvergnate n’en font pas mystère : si le taux de change de la doume est inamovible - 1 doume vaut toujours 1 euro-, les flux en circulation n’augmentent plus après des débuts prometteurs il y a dix ans. Ce qui limite l’effet de levier sur l’économie locale. « Nous consentons des prêts et prenons aussi des parts sociales dans des activités économiques », signale Danielle Nadal.

C’est une aide de ce type dont a bénéficié La Scie d’ici. « Nous avons reçu une première avance de trésorerie de 10.000 doumes que nous avons remboursée en deux ans et nous venons d’en obtenir une deuxième du même montant », explique Astrid Ursem. Cela permet de payer quelques fournitures (locales). Surtout, les salaires de la scierie sont versés en partie en monnaie locale : 630 doumes « que l’on peut dépenser sans problème à Sauxillanges », assure la responsable administrative. Ces avances permettent à la jeune entreprise de lisser ses charges salariales. Pour réunir les fonds nécessaires à sa création, la Scop a pu compter sur les prêts de la coopérative bancaire la NEF et d’un Cigale (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire).

Sans participer à la production, une associée, Emmanuelle, a abondé le capital de départ par conviction écologique. Un bon placement ? Commercialement, le troisième exercice a « très bien démarré », se félicite Astrid Ursem. 

Julien Rapegno

La Scie d’ici. Près de Sauxillanges (Puy-de-Dôme). www.sciedici.fr. Tel : 04.73.96.80.23 ou 06.58.45.62.63

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