Voter la fragilisation d’EDF c’est sceller la précarisation énergétique du pays
Fût-elle de salut public, plus aucune mutation gouvernementale ne semble en mesure d’affranchir Élysée-Matignon du surmoi partisan et idéologique désagrégeant la politique électro-énergétique française depuis plus de 20 ans. Pire, l’administration et l’empoisonnement déjà ancien du système de production national par l’energiewende (la transition énergétique allemande) n’ont jamais autant sévi de concert, manœuvrés de main de maître par l’UE, au nom d’une doctrine d’inspiration germanique.
Davantage ministres de ce dernier culte que ministres d’État, Michel Barnier et ses collaborateurs viennent de soumettre au Parlement l’avant-projet du régime post-Arenh que nous redoutions début septembre 2024 (1), auquel une EDF désormais organe d’État ne peut faire allégeance qu’au détriment de ses ambitions industrielles : vendre sa production électronucléaire à 70 euros le MWh, accepter une ponction fiscale de 50 % du surprofit découlant de tout dépassement de ce prix jusqu’à 78-80 euros le MWh et accepter une ponction fiscale de 90 % au-delà de 110 euros le MWh ; magnanime, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) prévoit de reconsidérer ces seuils tous les trois ans, afin de coller à la réalité des coûts.
Outre que la non-évocation de l’hypothèse d’un prix marché du MWh inférieur à 70 euros révèle la lucidité du pouvoir sur ce qui attend durablement les Français, outre que ces derniers ont de sérieuses raisons de douter de l’usage vertueux du produit de ce nouvel impôt, il y a lieu d’examiner de près et une bonne fois pour toutes la physionomie technico-économique de cet improbable marché prétendant avoir instauré en Europe la « concurrence libre et non faussée » des KWh dont les consommateurs attendent encore le bénéfice.
Considérons donc le mix de la production électrique UE de 2022, auquel les Européens doivent la genèse d’un prix marché du KWh se revendiquant irréprochable au point de prétendre n’avoir rien à envier à celle du prix marché d’une automobile ou d’un lave-vaisselle : électricité nucléaire 21,9 % ; gazière 19,6 % ; charbonnière 15,8 % ; pétrolière 1,7 % ; hydraulique 11,3 % ; biomassique 4,4 % ; éolienne 15,9 % ; solaire 7,6 % (2).
Commençons par pointer l’insolite singularité consistant à épargner la concurrence à des KWh éoliens et solaires sans conteste les plus chers de tous et, de surcroît, massivement subventionnées, soit 23,5 % de la totalité des KWh, qu’une vaste clientèle captive n’a d’autre choix que consommer à prix imposé. Excusez du peu ! L’occasion s’offre ici d’informer les Français que, par le biais de leurs factures et par celui de la fiscalité – de la TICFE en particulier –, ils vont avoir à payer l’éolien fixé sur fond marin à plus de 160 euros le MWh et l’éolien flottant à plus de 240 euros le MWh ; ceci sans compter les aides d’État à l’équipement dont ces deux technologies et le solaire vont bénéficier à hauteur de quelques 8 milliards d’euros en 2025, selon la CRE.
L’exploitation de ces énergies réputées renouvelables et gratuites (!) se révèle-t-elle au moins prodigue de MWh ? Pour le savoir, il suffit de mettre en regard de la puissance installée des générateurs concernés l’énergie qu’elle a produite dans l’année. Fin 2022, la puissance éolienne totale installée dans les 27 États membres de l’UE était de 202,7 GW (3), celle du parc solaire de 263 GW (4).
Nous avons vu plus haut que l’éolien a produit 15,9 % de l’énergie électrique européenne en 2022, soit 15,9 % de 2641 TWh (2) ou 419919 GWh. Pour connaître la puissance éolienne moyenne en service tout au long de l’année en question, il suffit de diviser ce dernier chiffre par le nombre d’heures qu’elle contient, à savoir 8760, pour arriver à 47,93 GW. Un calcul analogue donne 22,91 GW pour le solaire.
Voilà donc deux productions électriques prioritaires obligeant constamment toutes les autres à s’effacer quoi qu’il leur en coûte, la première ne pouvant annuellement délivrer que 47,93 GW de ses 202,7 GW installés, trahissant ainsi un piètre rendement de 23,6 %, la seconde seulement 22,91 GW de ses 263 GW installés, en vertu d’un misérable rendement de 8,7 %.
Et ce n’est pas tout. Si l’on en croit RTE, la puissance totale installée du parc électrogène de l’UE – toutes filières confondues – serait de 1018 GW (5). Les 202,7 GW éoliens et les 263 solaires sont donc respectivement censés en représenter 20 % et 26 %. Où l’on touche du doigt la tragique méprise consistant à (faire) prendre les vessies de la puissance pour les lanternes de l’énergie. Tout comme une voiture de 400 chevaux compte davantage sur sa réserve d’essence que sur la puissance de son moteur pour parcourir une longue distance, l’éolienne compte davantage sur la présence de vent que sur sa puissance pour produire de l’électricité.
Pourtant, depuis des années, de l’Ademe aux Pouvoirs Publics, en passant par une certaine presse, par une certaine mouvance associative, par la CRE et même par RTE, on prend un soin partisan patent à entretenir au moins implicitement la tragique confusion entre puissance et énergie dans la conscience populaire. Pourquoi tragique ? Eu égard au fait qu’éolien et solaire occupent une place grandissante dans la composition du parc électrogène de l’UE et que leurs productions ne sont ni programmables, ni pilotables, l’annus horribilis électro-énergétique 2022 apporte à elle seule une réponse à la question se passant de commentaire.
Cette année-là, l’économie et la quiétude domestique des Français ont senti le vent du boulet ou plutôt celui de la rigueur de l’hiver 2022/2023 auquel une ou plusieurs coupures impromptues de courant auraient pu durement les livrer et livrer la machine économique ; ceci à cause de l’indisponibilité d’une part importante du parc électronucléaire français en réparation pour corrosions sous contrainte fortuites. Sans surprise, les puissances éolienne et solaire brillaient alors par leurs absences. Eussent-elles été présentes qu’elles se seraient quand même trouvées dans l’impossibilité de maintenir suffisamment la stabilité du système électrique national, sans la présence d’une production thermique classique significative, ainsi que l’explique l’article déjà mentionné au début (1).
Dès lors, comment ne pas voir que dynamiter les timides velléités de construction à marche forcée d’une capacité de production électronucléaire absolument prioritaire par le vote du prolongement de l’Arenh relève de la haute trahison des intérêts supérieurs de la Nation ? Des défaillances du parc actuel comme celle que nous venons d’évoquer vont se reproduire, c’est certain ; elles sont dans l’ordre des choses de la maintenance d’un outil industriel vieillissant. Pense-t-on sérieusement y pallier à terme, aux fréquences et aux durées requises, avec les outils éolien et solaire ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’on n’y palliera longtemps, pour ne pas dire toujours, à prix d’or qu’au moyen du gaz.
La constitution d’énormes provisions financières s’impose d’ores et déjà au pays pour enrayer sa descente aux enfers économique ; pas seulement dans le domaine énergétique. Les alimenter par les pistes suivantes témoignerait du retour inespéré de la lucidité dans la « conscience collective » : mettre un terme le plus rapidement possible aux aides publiques dont jouissent par dizaines de milliards d’euros éoliens terrestre et maritime, mettre un terme au corollaire consistant à financer pour quelque 200 milliards d’euros les extensions de réseaux électriques subséquentes, dissoudre sans délai les structures théodule et/ou contreproductives que sont l’Ademe, le CESE et la CRE, une liste non exhaustive qu’il y a lieu d’allonger sensiblement, en même temps que faire le ménage dans bien d’autres institutions (6)…
(5) https://analysesetdonnees.rte-france.com/synthese-europe