La Chine a oublié les Chinois
La dictature chinoise a pour objectif la puissance. Mais les Chinois préféreraient peut-être que le développement du pays leur bénéficie.
En particulier, cette dictature fait un énorme effort financier en subventions et en financement de la recherche fondamentale pour son armée et la mise au point des technologies les plus modernes (c’est lié), ainsi que pour la conquête des marchés internationaux.
Une économie dirigée
Cette dictature utilise les moyens que lui donne une économie dirigée, dont la moitié de la production provient d’entreprises d’État et l’autre moitié d’un secteur privé qui doit obéir aux directives du parti transmises par ses cellules récemment réimplantées dans toutes les entreprises.
La production n’étant pas corrélée à la demande, on se réveille avec des surplus gigantesques : trop d’acier, trop de voitures électriques, trop de panneaux solaires… En effet, les erreurs d’une économie centralisée sont plus graves et durables que celles d’entrepreneurs privés qui seraient alors rapidement éliminés du marché.
Dans un premier temps, les Européens et les Américains importent ces surplus et bénéficient des prix cassés. Dans un deuxième temps, ils s’inquiètent pour leurs industries et imposent des droits de douane.
Alors où exporter ? Dans les pays du Sud : c’est la raison pour laquelle on flatte les Africains, notamment à l’occasion du dernier Forum sur la coopération Chine- Afrique (4-6septembre 2024) et en leur promettant des crédits… qui serviront à acheter ces surplus.
Tant mieux pour les Africains ! Mais pas pour les Chinois.
En effet toutes ces surcapacités proviennent d’investissements subventionnés. Les subventions sont financées par l’épargne des particuliers, leurs impôts, ou, ce qui revient à la longue au même, par la création monétaire, qui va affaiblir la monnaie et donc l’épargne …
Quel est le niveau de vie réel des Chinois ?
L’habitude des statisticiens est de l’évaluer en divisant la production du pays, le PIB, par le nombre d’habitants.
Or les productions chinoises ne sont pas forcément utiles, à commencer par la construction, dont la crise est la conséquence d’une autre fausse manœuvre de la dictature : l’obligation de l’enfant unique qui a réduit les besoins en logements. Et on pourrait probablement y ajouter une partie des équipements en TGV, en autoroutes… infrastructures coûteuses et sous utilisées, mais qui ont probablement fourni de de bonnes marges au capitalisme de connivence ».
Bref le PIB par personne (12 000 $ annuels) est une abstraction pour le Chinois de base, car il n’en bénéficie que d’une fraction : 50 à 55 % contre 85 % pour le Français moyen. Donc il n’a en revenu disponible que d’un 6e de la consommation d’un Français ou moins d’un 10ème de celle d’un Américain.
Or son épargne lui est d’autant plus nécessaire que de nombreuses professions ne servent que peu ou pas du tout de pensions de retraite et que les dépenses de santé sont très inégalement couvertes !
Pour les Chinois, le poids du régime n’est pas que financier
Au-delà de ces prélèvements sur leur épargne, les Chinois payent ce système en perdant leur liberté. C’était secondaire en période de famine mais maintenant les jeunes deviennent plus exigeants.
Le président a voulu imiter Mao en éditant un livre compilant ses déclarations en tant que président « La pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise pour une nouvelle ère » : tout un programme !
Dans ce livre, le président Xi insiste notamment sur le rôle central et dirigeant du Parti communiste chinois, le développement économique et la réduction des inégalités sociales, l’autosuffisance technologique et l’innovation, la nécessité d’un État fort, notamment sur le plan militaire et pour se défendre des influences étrangères, l’environnement et, enfin, le rôle central de la Chine dans les affaires mondiales …
Ce livre a été intégré à la constitution du Parti communiste chinois en 2017, dans les programmes scolaires et même dans les bases de données des robots conversationnels (les ChatGPT chinois).
Ce dernier point est peut-être le plus important, car c’est un moyen indirect mais puissant de propagande politique, mais qui, en même temps, peut limiter l’efficacité de l’intelligence artificielle …
Un Occidental dirait un peu vite : tout ça ne peut pas durer et il y aura soit une révolte populaire, soit une révolution interne au PCC. Après tout, le régime est maintenant aussi vieux que celui de l’URSS à l’époque de Gorbatchev, Il a cédé à un mouvement populaire en levant le confinement, et une grande banderole « A bas le dictateur ! » est restée visible d’une autoroute un temps suffisamment long pour que les étrangers la remarquent.
L’approche libérale avait anticipé le ralentissement chinois
Depuis une dizaine d’années, j’ai une analyse de la situation chinoise sur la Chine qui se distingue de celle des économistes financiers :
– en tant que démographe, en anticipant les conséquences économiques prévisibles de la catastrophe de l’obligation de l’enfant unique,
– en tant que libéral, économiquement, avec le constat du poids alarmant des entreprises d’État et l’élimination des capitalistes célèbres qui ont eu le tort de réussir, tels que Jack Ma, fondateur d’Alibaba.
– en tant que libéral, politiquement, car j’estime fondamentale à long terme la fécondité des échanges intellectuels, notamment scientifiques. Or ces échanges diminuent actuellement du fait de limitation du séjour des étrangers et de l’apprentissage de l’anglais.
C’est cette double caractéristique de démographe et de libéral qui m’a fait diagnostiquer très tôt que le développement économique chinois était un rattrapage tout à fait normal et donc un phénomène transitoire, et que d’autres forces condamnaient à terme ce développement.
Ce constat est antérieur à celui des financiers, car les chiffres de ces derniers ne sont que les conséquences lointaines de processus non financiers antérieurs. Ce sont ces processus – la démographie et un relatif isolement intellectuel – qui me semblent peser sur l’avenir de la Chine.
En attendant, pour l’instant, ce sont des citoyens chinois qui souffrent de l’obsession de puissance de leurs dirigeants…