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Après sept années d'un chantier tumultueux et coûteux, la rénovation de l'église des Carmes est enfin terminée au Puy-en-Velay

 « Un chantier hors normes », « une grande fierté pour les entreprises qui ont su relever un incroyable challenge », la satisfaction de la collectivité « d’avoir tenu la barre d’un chantier particulièrement tourmenté ». À travers les remarques des uns et des autres, c’est bien un sentiment de satisfaction et de soulagement qui prévaut alors que les travaux des Carmes sont terminés à deux mois de Noël. Ou presque. Ne restent plus que les abords à peaufiner, le pied de l’église. Les entreprises ont plié le matériel, les échafaudages ont été enlevés progressivement ces derniers jours. Signe avant-coureur de cette imminente fin de chantier, on pouvait voir les deux tours octogonales découvertes, comme le retour au port presque inespéré d’un bateau après avoir essuyé tant de tempêtes. Sept ans aura duré le voyage.Une visite des élus qui marquait la fin du chantier de l’église des Carmes. Il ne reste plus que les abords à finir.

Ils sont presque oubliés ces « sept ans de malheur » au moment de découvrir le résultat. Le chantier de l’église de Carmes aura quand même coûté près de 4 millions d’euros alors que le marché initial passé avec l’entreprise ponote Le Compagnon était à 1,19 million, somme à laquelle s’ajoutaient deux avenants pour arriver à 1,4 million. La Ville du Puy aura eu chaud. Grâce à plusieurs financements obtenus, notamment une rallonge de la région Auvergne Rhône-Alpes, elle évite une charge qu’elle aurait eu du mal à absorber.

Région, Département, État (avec le Plan de relance), Drac ont mis la main à la poche. Le reste à charge étant de 1,9 million HT, la ville a sollicité à nouveau la Région pour 1.140.000 euros. Une souscription de la Fondation du patrimoine a permis de collecter à ce jour 33.951 euros. La facture s’élèverait donc pour la collectivité locale à 815.000 euros. Le maire Michel Chapuis a fait preuve d’abnégation face aux critiques dont il a été l’objet depuis des années, mais il sait que d’autres épreuves l’attendent, avec d’autres églises : Saint-Laurent, le Collège en particulier.

Remettre l’église au centre du quartier

« La Région assume totalement son engagement et la volonté de sauver notre patrimoine religieux, de la même manière qu’elle l’a fait avec la statue Saint-Joseph d’Espaly », assure Laurent Wauquiez qui s’est rendu sur place à l’occasion de la fin du chantier. Le représentant de la région en profitait pour annoncer d’autres travaux : la réalisation désormais de l’éclairage pour mettre en valeur la façade de l’église, dans la continuité de l’éclairage du tribunal de commerce et du petit pont. Une réflexion est menée pour repenser l’environnement de l’église, réaliser une jonction avec le pont des Carmes et pourquoi pas offrir à l’édifice le parvis qui lui fait défaut aujourd’hui tout en maintenant la circulation. L’aménagement tient compte de la via Dolaizon qui est lancée (cheminement sur les rives de la rivière venant de Vals).L’église, délestée des échafaudages, se dévoile. Ses deux tours octogonales s’élancent face à la vierge.

La rénovation des Carmes a fait l’objet de bien des débats, à commencer par le projet lui-même. L’opposition municipale proposait de repenser la façade. Les pierres friables rendaient le projet architectural difficile. L’édifice avait perdu ses balustres de couronnement dentelées et s’en trouvait défiguré.

Une des particularités du travail des artisans est d’avoir enduit les pierres d’une patine, à base de lait de chaux. « On est venu nourrir et protéger la pierre de l’extérieur », indique Benoît Descours de la société Demars (Marcilly-le-Châtel). « Des pierres craignent davantage la capillarité comme la pierre de Polignac et d’autres. Elles étaient traditionnellement badigeonnées », ajoute Fabien Michel (Saint-Pierre-Eynac). Les deux entreprises spécialisées dans la taille de pierre sont intervenues de concert, chacune sur une tour. Elles ont repris le chantier qu’avait abandonné l’entreprise Le Compagnon (après un dépôt de bilan). Toute la partie démolition avait été déjà réalisée quand le projet a été repris en 2022. Les artisans sont partis d’une modélisation préalable au chantier proprement dit. Quand l’un d’eux parle de pierre de Polignac, en réalité c’est de la pierre de Turquie qui a été utilisée aux Carmes pour la reconstruction des tours.L'église des Carmes vue du ciel

Explication de Fabien Michel : « S’il y a des pierres à Polignac, ce n’est pas pour autant qu’elles sont faciles à exploiter. Il aurait fallu s’y prendre beaucoup plus tôt pour puiser dans le gisement local. Il n’est pas sûr que nous ayons pu avoir les volumes souhaités. Beaucoup de pierres font plus d’une tonne sur ce chantier ». Laurent Wauquiez appelle pour sa part de ses vœux la réouverture de carrières en France, mais là est un autre débat qui dépasse les frontières du bassin ponot. Or, il fallait bien terminer l’église. Le chantier des Carmes, c’est 200 m³ de pierres de taille issues de 600 tonnes de pierres brutes, 800 tonnes de matériaux, « un des dix plus importants en France » en termes de taille de pierre, parmi lesquels figure celui de Notre-Dame-de-Paris.

Fabien Michel (qui intervient actuellement sur l’église des Estables) est reconnaissant aux collectivités : « C’était un peu limite pour nous, compte tenu de nos capacités, mais le chantier a aussi été fédérateur pour nos équipes », dit-il. L’entreprise Michel a mobilisé 80 % de ses moyens humains pendant deux ans, trois tailleurs de pierre, un débiteur, deux à trois poseurs, trois personnes en charge des patines et des finitions pendant six mois.Les détails de la pierre et des rénovations.

L’artisan regrette toutefois le manque de communication autour du travail réalisé une fois la phase déconstruction achevée. Le badigeon employé pour apporter la bonne teinte aux pierres turques a beaucoup fait parler. Le côté protecteur de la pierre a peut-être été un peu oublié. Un œil averti verra peut-être quelques nuances de couleurs sur la façade. L’architecte des bâtiments de France, Anne-France Borel admet de son côté que la couleur bleue de la monumentale porte d’entrée puisse surprendre. On pourra toujours retenir la symbolique du regard tourné vers le ciel. De l’élévation avec les anges qui surmontent l’ouvrage. Faut-il voir un symbole d’espoir ? L’église des Carmes a été sauvée, n’est-ce pas là l’essentiel à retenir de cette histoire à rebondissements qui aura duré sept ans ?

La Fondation du patrimoine est intervenue pour lancer une souscription en faveur de l’édifice. Elle en retrace brièvement l’histoire. Initialement, à la fin du XIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIVe siècle, l’édifice était un modeste monastère. En 1793, l’église fut réquisitionnée pour entreposer les matériaux nécessaires à la construction du pont Saint-Barthélemy. En 1795, on l’utilisait comme ateliers de fabrication de chariots pour l’armée française. En 1802, l’église devient une paroisse, jusqu’à aujourd’hui. L’édifice devait être restauré, et un projet de nouvelle façade fut établi avec un cahier des charges rédigé en 1862. Les travaux furent terminés en 1866.

Éviter notamment toute chute de pierres

Inscrite au titre des Monuments Historiques depuis 1988, l’église des Carmes a subi les affres de la météo et avait donc fait l’objet de quelques travaux de rénovation en 1866. Ce qui avait été refait au XIXe siècle méritait d’être repris et sécurisé. La Fondation du patrimoine rappelle : « Il fallait surtout éviter notamment toute chute de pierres ». Les objectifs du projet de rénovation à l’identique étaient par conséquent de restaurer la façade sur la base de 1862 et de sécuriser le site face aux risques d’effritements. La brèche utilisée lors de la réfection de 1866 étant de mauvaise qualité se révélait particulièrement dégradée. Les pinacles et acrotères d’origines, conférant au bâtiment son originalité architecturale avaient disparu. En résumé, le projet consistait à rénover la façade occidentale avec les travaux de démolition, la réfection à neuf des tours, des pinacles, l’arasement de l’acrotère. 

À l’arrêt des travaux à l’automne 2020, un économiste estimait le nombre de mètres cubes de pierres nécessaires. Les calculs se sont révélés inexacts. Cette fois, les pierres ne venaient plus d’Indonésie mais de Turquie, avec un souci de teinte. Le groupement d’entreprises Demars et Michel obtenait le nouveau marché lancé par la collectivité. En avril 2022, lorsque les travaux redémarraient, ils étaient prévus pour une durée de 16 mois. Autrement dit avec une livraison à l’été 2023… Une enquête en juin 2023 du parquet national financier finissait de jeter le trouble. La juridiction souhaitait entendre les élus sur le premier appel d’offres de 2016 : pierres d’Indonésie, avenants, retards, surcoûts. En avril 2023, la Cour régionale des comptes avait pointé du doigt la gestion de la commande publique en prenant l’exemple de l’église des Carmes. Le nouveau groupement d’entreprises admet aujourd’hui avoir reçu les matériaux de manière régulière contrairement à ce qui s’était passé avec les pierres d’Indonésie, mais il a dû s’armer de patience au début, sans avoir la matière première et sans pouvoir en attendant procéder à la déconstruction, celle-ci ayant été faite par l’entreprise Le Compagnon.

Une question taraudait les élus : mais quand prendrait fin le chantier et surtout quel en serait le coût ? La facture ne cessait de grossir. Le nouveau marché signé fin 2021 avec le groupement Michel et Demars de 1,67 million d’euros atteignait déjà les 3 millions en 2023. Michel Chapuis expliquait l’envolée par les prix de la brèche volcanique : « Nous sommes passés de 2.740 euros le m³ à 7.700 euros. Nous sommes à 1 million d’euros de pierres taillées. Personne ne s’attendait à cela. La raison principale du surcoût du chantier est liée au prix de la matière première ». La municipalité tenait bon malgré tout et s’engageait à finir l’ouvrage. Avait-elle le choix de faire autrement ?

 

Philippe Suc 

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