Comment l’IA commence à bouleverser la recherche et l'exercice de la médecine à Limoges
Toutes les spécialités médicales seront un jour impactées par l’intelligence artificielle (IA). Une révolution à laquelle des chercheurs et des praticiens en santé de Limoges s’intéressent. Le 17 octobre 2024, la conférence inaugurale de rentrée de la faculté de médecine et pharmacie, destinée à lancer l’année universitaire, était consacrée à l’IA.
C’est Jean-Baptiste Woillard, professeur en pharmacologie, qui a assuré la présentation. Il s’est penché sur le sujet dès 2015, non sans difficulté. « Au début, je me suis dit que je n’y arriverais pas. Il y avait beaucoup de nouveaux concepts et le moyen pour démocratiser ces méthodes n’avait pas encore été trouvé. »
Des mobilités scientifiques à Toulouse et Cambridge lui ont permis de progresser, et la sortie de nouveaux algorithmes mathématiques, plus puissants, depuis 2020, lui a permis d’envisager de résoudre certains problèmes dans son travail de chercheur.
En quoi l’IA vous aide-t-elle dans vos recherches ?
« En pharmacologie, je travaille au développement d’une application qui permettrait d’individualiser la dose de médicaments anti-rejet (dans le cas de transplantation) et anti-infectieux (dans un contexte d’antibiorésistance). L’idée est de donner la bonne dose au bon patient, au début et pendant le traitement en intégrant des données dynamiques du patient afin d’affiner la stratégie thérapeutique. C’est un problème complexe, multifactoriel, qui implique de prédire les concentrations en médicament.
Depuis deux ans, dans le cadre du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) en santé numérique*, je coordonne un consortium scientifique avec différents partenaires sur les “jumeaux numériques pharmacologiques”, pour lequel nous avons obtenu un financement de 1,8 million d’euros. Concrètement, en regroupant et analysant des données cliniques réelles de patients anonymisées, l’IA nous permet de générer des données “jumelles” qui intègrent différents types de modèles biologiques (moléculaire, tissulaire, génomique, sanguin) et qui prennent en compte l’environnement et les habitudes du patient... »
Avec ces données synthétiques, le butest de prédire l’efficacité des médicaments,d’améliorer la balance bénéfices/risqueset de limiter les effets secondaires.
Quelle place aura l’intelligence artificielle dans les pratiques médicales ?
« Elle aidera à relever de grands défis en médecine. Les exemples ne manquent pas. L’IA pourra faire de la prédiction individuelle bien plus efficace que l’approche statistique. On peut dire que le risque moyen de faire un infarctus du myocarde quand on est fumeur augmente d’un certain pourcentage, mais avec l’IA, sur la base d’une série de caractéristiques du patient, c’est le risque individuel qui sera évalué.
Dans la recherche en cancérologie, l’IA fera gagner un temps précieux, en prédisant avec la même précision les résultats d’un essai clinique bien avant la fin dudit essai...
Le fait de pouvoir intégrer dans un algorithme des sources différentes, des données complexes, qui n’évoluent pas de la même façon dans le temps et qui intègrent des spécificités propres à chaque individu, est une avancée considérable. Cela génère beaucoup d’espoir, puisque cela va permettre d’améliorer le diagnostic de la maladie, de personnaliser le traitement... ».
Les médecins sont-ils déjà formés à ces nouvelles approches ?
« Il est important de faire évoluer dès à présent les formations. Il y a deux ans, nous avons créé une unité d’enseignement “IA en santé” à la faculté de médecine de Limoges pour les 3?, 4? et 5? années, dans le cursus de formation initiale.
En novembre 2024, avec le docteur Marc Labriffe, nous avons lancé un diplôme universitaire “Intelligence artificielle en pharmacologie”, dans le cadre de la formation continue.
Des ateliers sont aussi prévus courant 2025 en pharmacométrie, cette discipline qui étudie l’évolution de la vie du médicament une fois administré. »
L’intelligence artificielle suscite aussi des craintes. Va-t-elle remplacer le médecin ?
« Bien sûr que non, ce sera plutôt une collaboration homme/machine. Dans la tête des gens, l’IA auto-apprend et grossit toute seule, mais c’est rarement le cas (excepté les approches d’apprentissage par renforcement comme le jeu d’échecs).
L’humain l’alimente et l’IA est un outil d’aide à la décision, qui peut se tromper, qui a des biais et des limites.
L’homme – et donc le médecin – aura le dernier mot et endossera la responsabilité. Mais le métier évoluera. Les tâches à faible valeur ajoutée pourront être automatisées, ce qui dégagera du temps pour des missions plus complexes.
En ophtalmologie, par exemple, dans le cadre du dépistage de masse de la rétinopathie diabétique, la machine sera en mesure de sélectionner parmi des milliers d’images les patients à risque, et le spécialiste n’aura plus qu’à se concentrer sur ces personnes-là. C’est une opportunité.
On peut parler de notion d’homme augmenté. Et si la machine ne remplace pas l’homme, les médecins qui se serviront de l’IA remplaceront ceux qui ne l’utiliseront pas. »
(*) Ce programme est piloté par l’Inserm et l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique).
Propos recueillis par Hélène Pommier