"Ici, c’est mon marché !", Auchan Nord, l’hyper de proximité à Clermont-Ferrand, c’est fini
« Ici, c’est mon marché ! ». Monique a 86 ans, elle a connu quand Auchan Nord s’appelait Mammouth. C’était…. « Oh là là, il y a longtemps, longtemps ! » rigole-t-elle, en attrapant ses pommes sur la balance pour les placer dans son cabas bleu à roulettes.
À l’inverse de nombreux hypermarchés, ici, au Auchan de Clermont Nord, les clients sont nombreux à tenir des paniers, à ne pas pousser de chariot rempli. « C’est un magasin de proximité, familial », confirme Monique.
Les courses du quotidien« Ce sont les courses du quotidien, résume Rebecca. Devant l’étal de viande, un homme lui passe la main sur l’épaule. « Eh ! Bonjour, comment vas-tu ? ». C’est son cousin, Jérémy. « Moi, je viens presque tous les jours faire mes courses. Lui, il passe de temps en temps, on discute », explique-t-elle.
Et ce mardi matin 5 novembre, la discussion tourne autour de l’annonce de la fermeture du magasin qui vient juste de tomber. Rebecca n’y croit pas. « C’est vrai ? Vous fermez ? », lance-t-elle, incrédule, à deux salariés en train de disposer la viande dans le rayon.
« Oui, Madame. On l’a appris ce matin ». Elle lâche son cabas, surprise. « Mais quand fermez-vous ? », réfléchit Rebecca. « Au printemps peut-être, dans six mois…. Il y a des réductions d’emploi ». « Si vite… », souffle Rebecca. Les deux employés tentent de sourire, un peu, à la cliente. Le cœur n’y est pas.
« Laissez-nous, respectez le moment »« C’est un peu une famille ici », confie un salarié au détour d’un rayon. « Laissez-nous, respectez le moment », lâche une autre. À la presse, ils ne parlent pas. Le directeur, contacté par téléphone, non plus. « Pas d’interview, pas de photos à l’intérieur du magasin. Je reste avec mes équipes. Il y a beaucoup d’émotion ».
« On va avoir besoin de vous »Si les difficultés économiques du magasin ne datent pas d’hier, si les rumeurs de fermeture existaient, il y a cet instant de la décision, ce moment de sidération. « Certains salariés sont là depuis trente ans et ont connu Mammouth aussi. Il y a des couples aussi… », glisse, pour expliquer un peu, une salariée. Tandis qu’une autre, à la caisse, répond patiemment aux questions des clients. Et, le regard triste, mais droit dans les yeux, lâche : « On va avoir besoin de vous ».
Hier matin, avec leur gilet rouge floqué dans le dos “Faites-moi confiance. J’en connais un rayon”, ils sont tous au travail. Des yeux sont gonflés, des lèvres sont serrées.
« Je suis peinée pour tous ces gens qui travaillent ici. Où vont-ils aller ? », s’inquiète Madeleine, 77 ans, en poussant son chariot. Elle habite Cébazat et fait ses courses là « tous les quinze jours, pour moi et ma mère âgée. C’est pratique, cela va vite ».
Ici, « on a tellement l’habitude que l’on sait où sont les choses. Tu ne te poses pas de questions », décrivent Aïcha, Dania et Esma, 11 ans. Elles sont passées chercher des citrons pour l’une de leur maman.
Meschlia, 44 ans, lui aussi, a des enfants, de 12 et 15 ans : « On habite à côté, je pouvais les laisser venir à Auchan. J’avais confiance », assure ce papa. Pourtant, ici, les problèmes de sécurité, les incivilités, font partie des difficultés que doit affronter l’hypermarché.
« Ma femme ne veut pas venir, elle a peur »« Je viens seul », confirme Bernard, 76 ans. « Ma femme ne veut pas venir, elle a peur ». Pourtant, « je n’ai jamais été embêté à l’intérieur. Les soucis sont souvent dehors ou dans les entrées ». Ici, la clientèle est cosmopolite, à l’image du quartier. « Cette ambiance peut déranger. Mais pas moi. Je viens à pied, c’est pratique. Franchement, c’est du gâchis, cette fermeture ».
« Franchement, on ne comprend pas, il y a toujours du monde »Pour Ouissel, Lina et Nour, 14 ans, c’est tout un pan de leur quotidien qui s’effondre. Elles sont scolarisées au collège Camus, à côté : « Quand il n’y a pas de tram, on vient manger là pour être au chaud. Quand on a une petite course à faire, on vient là. Il manque un chargeur de téléphone..., on sait que l’on va trouver. Et même dans quel rayon il est. Franchement, on ne comprend pas, il y a toujours du monde. Des fois, c’est blindé. Pourquoi ça ferme ? ».
Cécile BergougnouxPhoto Thierry Lindauer