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Les mots de Trump : les ressorts d’une rhétorique efficace

Jérôme Viala-Gaudefroy, Spécialiste de la politique américaine, Auteurs historiques The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Jérôme Viala-Gaudefroy, spécialiste du discours politique américain, a analysé d’innombrables prises de parole de l’ex-président, que ce soit sur les réseaux sociaux, lors de rassemblements de ses sympathisants ou pendant des cérémonies officielles, pour mettre à jour, dans « Les mots de Trump », qui vient de paraître aux éditions Dalloz, les ressorts d’une rhétorique qui, depuis des années, et plus encore dans la ligne droite de la campagne présidentielle actuelle, enflamme le pays et même le monde. Extraits choisis.

J’ai fréquenté une école de l’Ivy League. Je suis très instruit. Je connais les mots. J’ai les meilleurs mots… mais il n’y a pas de meilleur mot que stupide, n’est-ce pas ? Il n’y en a pas. Il n’y en a pas. Il n’y a pas de mot comme ça. […] (Donald Trump, Hilton Head, Caroline du Sud, 30 déc. 2015)

Si Donald Trump se vante de sa très bonne maîtrise de la langue, d’avoir fait des études dans une université prestigieuse et d’être intelligent, c’est qu’il a conscience d’être souvent tourné en ridicule pour son langage hors norme. Son vocabulaire simpliste et binaire, ses phrases décousues, ses mensonges, ses bourdes et ses insultes répétées ont été largement commentés, notamment par la presse qu’il accuse de rapporter de fausses nouvelles (« fake news »).

Alors même qu’il se défend d’être incompris, ses propos illustrent parfaitement la rupture avec les normes établies du discours politique et présidentiel. Il ramène tout à sa personne, parle de lui à la troisième personne, et choisit précisément un mot très simple comme « stupide » – à la fois péjoratif et insultant – comme étant le meilleur mot pour parler de la classe politique et de ses prédécesseurs.

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Rhétorique de rupture

En réalité, et malgré ce qui est souvent dit, Donald Trump est tout à fait conscient du pouvoir des mots. S’il y a une chose qu’il a très bien comprise, c’est qu’il doit en bonne partie son succès à son langage hors norme. Par ce que l’on peut appeler une véritable rupture rhétorique, Trump se positionne ainsi comme un outsider hors du champ politique. Pour ses partisans, son pouvoir est tel qu’il ne serait soumis ni aux règles de la politique, ni aux lois de la grammaire ordinaire.

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Sur ce point, Donald Trump réussit, plus encore que ses prédécesseurs, à être au cœur des médias. Sa présidence se caractérise également par des discours très semblables à ceux de sa campagne et par un très faible nombre de discours officiels ou de conférences de presse. Même lors d’événements formels, il s’est très souvent démarqué des normes de la rhétorique présidentielle. Ainsi, dès son discours d’investiture, le 20 janvier 2017, il donne le ton en faisant un appel à l’unité du peuple, non pas autour de valeurs communes partagées, mais contre l’establishment et la classe politique américaine qu’il présente comme un ennemi.

Improvisation et authenticité

L’une des caractéristiques des discours de Donald Trump réside dans l’improvisation : une grande partie est le fruit de ce qui lui passe par la tête à l’instant où il parle, ou de ses obsessions du moment. Ce « flux de la pensée » (« stream of consciousness ») est plus ou moins structuré (ou plutôt déstructuré) par des marqueurs de discours comme « eh bien », ou « au fait » qui ont pour objectif de rediriger le discours. Cela permet de nombreuses digressions, des répétitions, une syntaxe désordonnée et des phrases interrompues souvent inachevées.

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C’est aussi un style conversationnel, décontracté, plus naturel et très efficace. Lorsque Trump s’écarte du sujet, il signale ainsi à son auditoire qu’il n’est pas scénarisé et donc qu’il est authentique. Comme l’ont remarqué certains linguistes, ses phrases inachevées permettent au public de les finir à sa place, ce qui accroît l’impression d’intimité que ressentent ses partisans.

Violence verbale et insultes

Trump parle, par exemple, de « défoncer la gueule » du groupe terroriste ISIS (Milford, NH, 2 févr. 2016), accuse Joe Biden d’avoir « léché le cul de Barack Obama » (Minneapolis, Minnesota, oct. 2019), et traite Michael Bloomberg de « pauvre con » (Newsmax, 14 oct. 2020).

Un autre exemple très parlant – et largement repris par les médias – concerne les footballeurs qui se sont agenouillés pendant l’hymne national pour protester contre les violences policières à l’encontre des Noirs : Trump les a qualifiés de « fils de pute qu’il faut virer du terrain », sous les acclamations de la foule présente à son meeting (Huntsville, Alabama, 22 sept. 2017).

La masculinité et la rhétorique du pouvoir

Ces extraits sont tirés de « Les Mots de Trump », de Jérôme Viala-Gaudefroy. Éditions Lefebvre-Dalloz

Son accent et sa grossièreté sont traditionnellement des attributs de masculinité, ce qui, pour ses partisans, contraste avec les élites dites « féminisées de gauche » et les « flocons de neige » (« snowflakes »), une expression péjorative qui désigne la prétendue fragilité émotionnelle et l’incapacité de certaines personnes de gauche à supporter des opinions contraires.

Le langage social choquant constitue en soi un acte de pouvoir masculinisé qui dénote un côté à la fois authentique et rustre. De plus, Donald Trump utilise un vocabulaire et une prosodie qui incarnent à la fois une véritable violence et les politiques dures qu’il promet de mettre en place contre ceux qu’il considère comme des menaces sociales – les immigrés, les musulmans, les personnes de couleur, les individus LGBTQ+ notamment.

Stratégie médiatique et saturation

Lors de ses campagnes, il a mis en place une véritable stratégie de communication développée par son conseiller d’extrême droite (« alt. right ») Steve Bannon. Elle consiste à saturer le paysage médiatique par toujours plus de déclarations scandaleuses et mensongères.

Le but n’est pas de convaincre par des arguments politiques mais de créer suffisamment de chaos, de confusion et de buzz pour attirer l’attention. Il s’agit également de ne pas laisser le temps aux médias de suivre le rythme, et de rendre la vérification des faits impossible. Les mensonges du jour sont immédiatement éclipsés par ceux de lendemain.

Le récit de Trump

Comme tout bon récit, l’histoire que raconte Trump est faite de personnages clairement identifiables : des méchants (une élite corrompue, une immigration menaçante), des gentils qui sont victimes (le peuple), et un héros sauveur (Donald Trump lui-même).

Au cœur de ce drame, il faut bien entendu un enjeu existentiel : une nation ravagée par le crime et la misère, menacée dans ses fondamentaux par un ennemi à la fois intérieur et extérieur incarné par une gauche dite « radicale », « communiste », « marxiste » et « fasciste », des Républicains de l’establishment « traîtres », l’État dit « profond », des médias qualifiés d’« ennemis du peuple », et des immigrés présentés exclusivement comme des criminels.

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