UE-Mercosur : la France défendra jusqu’au bout une position de fermeté sans « fermeture »
Une fois n’est pas coutume, le gouvernement, une bonne partie du Parlement et même les syndicats agricoles dont les membres manifestent depuis le 17 novembre sont unanimes à s’opposer à l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, contrairement à de nombreuses entreprises des secteurs industriels et des services. Alors que le calendrier international augmente la pression sur ce sujet, retour sur les lignes rouges émises par la France sur cet accord, et ses chances d’obtenir gain de cause.
Le Président Macron l’a redit le 17 novembre à la presse, au moment de s’envoler pour le Brésil où il devait participer au Sommet du G20 (18-19 novembre) : la France s’oppose à l’accord d’association UE-Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et bientôt Bolivie) « en l’état ». Et le fait est que l’ensemble du gouvernement Barnier est sur cette ligne que soutient également largement le Parlement, comme en atteste les prises de positions trans-partisanes dans des tribunes parues dans la presse il y a quelques jours, en fait un des rares sujets consensuels actuellement.
Si le Sommet du G20 ne devrait pas être l’occasion d’une grande annonce sur un accord politique entre les deux blocs, d’autres échéances mettent actuellement la pression sur le camp du « non » : ce 21 novembre, se tient un Conseil Affaires étrangères commerce, et le Mercosur fera partie des sujets sur la table. Le 5 décembre suivra un Sommet du Mercosur qui sera très suivi. Depuis plusieurs semaines, la Commission européenne s’active pour aboutir à un accord.
Or le contexte se prête à la signature d’un grand accord commercial pour l’UE : alors que la Chine courtise les pays d’Amérique latine -le président XI Jinping sera en visite officielle au Brésil après le G20-, l’UE fait face à de de fortes tensions commerciales avec la Chine et se prépare à une nouvelle guerre commerciale avec les Etats-Unis de Donald Trump et sa politique de hausse généralisée des droits de douane de 10 à 20 %.
Les organisations d’entreprises européennes de l’industrie et des services, globalement favorables à un accord commercial avec le Mercosur, commencent à donner de la voix. Le 19 novembre, 78 associations de l’UE et du Mercosur ont ainsi lancé un appel à leurs gouvernements pour qu’ils accélèrent la conclusion des négociations. Elles soulignent l’importance stratégique de renforcer les liens commerciaux, de favoriser les investissements et de promouvoir le développement durable, entre deux blocs qui ont échangé plus de 159 milliards d’euros de biens et de services et 380 milliards d’investissements en 2022. Parmi les organisations européennes signataires, BusinesEurope, l’Acea et le Clepa (automobile), Cefic (Chimie), Eurocommerce, Cosmetics Europe, Euratex (textile), SpiritsEurope (vins et spiritueux)….
La position défendue par la France
Sophie Primas, la ministre en charge du Commerce extérieur et de l’attractivité, a eu l’occasion d’en rappeler les principales orientations lors d’une audition devant pas moins de trois commissions au Sénat (Affaires étrangères, Affaires économiques et Défense) le 14 novembre. Cette ligne n’a quasiment pas varié depuis l’été 2019, lorsque, avec d’autres Etats-membres comme l’Autriche, son opposition claire avait dissuadé la Commission de présenter l’accord fraichement signé avec le Mercosur à la ratification après 25 ans de négociation.
« Depuis 2019, la France oppose un non catégorique à ce traité dans sa version actuelle considérant qu’il menace la cohérence même de la politique européenne et le bien-fondé de sa politique volontariste de lutte contre le changement climatique », a déclaré la ministre. Il « mettrait en péril notre force productive en la soumettant à une concurrence totalement déloyale touchant en premier lieu notre agriculture européenne et française ». « L’accord avec le Mercosur me semble déséquilibré et, par-dessus tout, porteur d’incohérence au niveau européen », a-t-elle martelé devant les sénateurs.
Un des arguments à cette opposition est que le mandat de négociation n’a pas été modifié en 25 ans, rendant ce traité « obsolète ». Autrement dit, l’accord d’association tel que conclu en 2019 n’intègre aucune des nouvelles clauses négociées récemment pour d’autres accord concernant le respect de l’environnement ou des engagements en matière de lutte contre le changement climatique (Accord de Paris sur le climat). Résultat, selon Sophie Primas, « l’accord avec le Mercosur me semble déséquilibré et, par-dessus tout, porteur d’incohérence au niveau européen ».
Principale incohérence : ne pas veiller à faire respecter par les producteurs et entreprises du Mercosur les normes environnementale et réglementaires que l’UE impose à ses propres entreprises et producteurs. Elle s’est d’ailleurs engagée, dans le cadre de son mandat, a plaider pour que l’UE se dote d’une véritable « force de contrôle » dans les domaines sanitaires et phytosanitaires.
Les lignes rouge du gouvernement français
Ces lignes rouges, Sophie Primas les a rappelées une à une.
1/-Faire du respect de l’application de l’Accord de Paris sur le climat un élément « essentiel » de l’ensemble du traité. Autrement dit, que l’application de l’accord puisse être suspendu s’il est constaté une violation majeure de l’accord de Paris par l’une ou l’autre des deux parties. Cette demande française est récurrente pour tous les accords récemment négociés, et d’ailleurs satisfaite par la Commission.
2/- Dans le chapitre du traité concernant Commerce et développement durable, s’assurer que les engagements environnementaux de l’accord soient effectivement mis en œuvre. Tout manquement à un engagements de ce chapitre doit être soumis à un mécanisme de règlement des différends introduisant la possibilité de sanctions. « Ce mécanisme doit être prévu par l’accord ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », a indiqué la ministre.
3/- Dans le même chapitre, que des garanties soient apportées pour que les règles européennes sur la déforestation s’appliquent « sans dérogation ». Alors que l’entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur la déforestation importée a été reporté d’un an, le Brésil aurait demandé à en être exempté.
4/- Sur la question agricole, un accord « exigeant sur le plan environnemental » et « loyal pour notre agriculture ». Il faudra des dispositifs pour protéger nos filières « quelle que soit l’issue des négociations » a estimé la ministre.
Des marges de manoeuvre réduites
Les marges de manoeuvre du gouvernement français se sont réduites : face à l’empressement de la Commission à négocier un « protocole additionnel » incluant des clauses environnementales, dont l’intégration du respect de l’Accord de Paris comme un élément « essentiel » (voir notre précédent article sur le sujet), la France se retrouve plutôt isolée aujourd’hui. Une situation que n’ignore pas le président et le gouvernement français, qui espèrent trouver de nouveaux appuis.
« La voix de la France n’est pas isolée dans cette défense de l’environnement, la protection de son agriculture, la préservation des équilibres du monde rural et dans sa volonté de défendre la cohérence des politiques publiques européennes » a souligné Sophie Primas. Mais cette position n’est pas « majoritaire » a-t-elle reconnu.
Deux scénarios possibles
Dans ce contexte, deux scénarios se présentent aujourd’hui :
-soit le projet final de traité reste un accord d’association, soit un accord mixte. Dans ce cas, elle disposera d’un droit de veto puisque les traités mixtes doivent être adoptés par le Conseil à l’unanimité, puis approuvés par le Parlement européen, puis être ratifiés par les parlements nationaux. « La forme de l’accord tel qu’il est pour l’instant nous permet de faire usage de notre droit de véto » a indiqué la ministre, rappelant que Michel Barnier avait demandé à Ursula Van Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qu’il soit présenté sous cette forme le 13 novembre, lors d’un déplacement à Bruxelles.
-soit, comme la rumeur court à Bruxelles, il est scindé en deux et seul le volet commercial est présenté au Conseil, sous la forme d’un accord intérimaire, par la présidente Von Der Leyen. C’est ce qui a été fait pour la modernisation de l’accord commercial avec le Chili. Dans ce cas, un vote à la majorité qualifiée suffirait à le faire approuver par le Conseil. Cette hypothèse serait perçue comme « une faute politique » par le gouvernement français, car susceptible de saper la confiance des citoyens européens dans les institutions européennes. Mais elle est plausible et il s’y prépare.
D’après la ministre, la France cherche à réunir une « minorité de blocage » pour bloquer cette éventuelle manœuvre de la Commission, cherchant des appuis auprès pays membres dont les parlements ont voté contre ainsi que les pays les « plus timides » qui n’ont pas osé faire entendre leur voix. Difficile à trouver mais « pas impossible », a indiqué Sophie Primas, appelant l’ensemble des parlementaires et organisations citoyennes et agricoles à aider le gouvernement dans cette tache.
« La fermeté ne doit pas être synonyme de fermeture »
Le gouvernement français est-il devenu anti libre-échange ?
Une telle conclusion serait simpliste. « La France est partisane d’un accord mais d’un accord renégocié avec la région du Mercosur », a précisé Sophie Primas, soulignant que cette organisation rassemblant cinq pays latino-américains est un « partenaire stratégique » pour l’Europe.
Car le traité avec le Mercosur est aussi la promesse d’une plus grande ouverture à l’industrie, aux services, aux filières -y compris agricoles comme les produits laitiers-, aux marchés publics, d’une protection des indications géographiques. Rappelons que 90 % des droits de douane doivent être réduits en dix ans, et un certains nombres de secteurs doivent s’ouvrir aux entreprises des deux blocs. « La fermeté ne doit pas être synonyme de fermeture » a martelé Sophie Primas. Pour l’heure, dans le pays dont le Parlement a refusé de ratifier le Ceta avec le Canada, c’est la voix des opposants qui reste la plus forte.
A suivre…
Christine Gilguy
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