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A La Barbade, le rhum d’Alexandre Gabriel que les collectionneurs s’arrachent

Qui de l’Irlande ou de l’Ecosse mérite le titre de berceau du whisky ? Le pisco est-il né au Pérou ou au Chili ? Et le rhum, à La Barbade ? L’esprit du lieu agite le monde du vin et des spiritueux. Partout en France, les vignerons ne se lassent pas d’explorer la richesse et la diversité de leurs terroirs. La connaissance et la compréhension des origines demeurent le meilleur moyen d’être… original.

Qui veut connaître la Barbade doit impérativement traîner ses guêtres dans les rums shops, ces bars que l’on trouve un peu partout, même dans des maisons particulières. Les clients y jouent aux dominos, s’y sustentent d’une cuisine simple mais relevée, tout en buvant des petites gorgées de rhum, l’une des passions locales ; l’autre étant Rihanna, native d’un faubourg de Georgetown, la capitale. Une star omniprésente sur l’île, des restaurateurs montrent même avec fierté la table où elle se serait sustentée… un jour. La chanteuse n’est malheureusement pas passée le soir de notre visite. En revanche, le rhum Stade’s, la référence barbadienne, coulait dans tous les verres.

Lancée sur l’île et aux Etats-Unis depuis 2021, cette eau-de-vie de canne à sucre rend hommage à George Stade, un ingénieur arrivé à la Barbade au XIXe siècle après un détour par Trinidad. A une époque où le rhum se vend essentiellement en vrac, ce distillateur de génie, détenteur de plusieurs brevets dans l’industrie sucrière, souhaite produire un alcool riche en saveurs et pauvre en impuretés. Il imagine une unité de distillation révolutionnaire qu’il érige dans un cadre idyllique, juste au bord de la plage Brighton, au nord de Bridgetown. La West Indies Rum Distillery (Wird) naît en 1893 et le nom Stade devient rapidement synonyme d’excellence chez tous les marchands.

A la recherche de la perle rare

Plus d’un siècle plus tard, l’entreprise produit 85 % du rhum insulaire, dont Stade’s et Planteray (ex-Plantation). Elle appartient à un Français, Alexandre Gabriel, qui a également trouvé dans la corbeille de mariage un tiers de National Rums of Jamaica (les distilleries Clarendon, Long Pond et Inswood). "J’ai longtemps exploré la Caraïbe et l’Amérique latine avant de dénicher cette perle rare. Quand je l’ai acquise, en 2017, la Wird était performante techniquement, mais faible commercialement", précise-t-il. Un défaut loin d’être rédhibitoire pour cet aventurier, habitué à relever des challenges que nombre de ses confrères fuiraient. Comment a-t-il pu construire son groupe Maison Ferrand, qui regroupe aujourd’hui la marque de cognac éponyme, le gin Citadelle et le rhum Planteray ?

Etudiant en école de commerce, Alexandre Gabriel finance ses études en représentant quelques entreprises, dont une société de cognac. En 1989, il finit par racheter la Maison Ferrand, un cognac 100 % Grande Champagne. Sept ans plus tard, le précurseur lance Citadelle, le premier gin français. Les débuts sont difficiles, mais Ferran Adrià, le chef espagnol alors au sommet de sa gloire, lui tresse des lauriers, contribuant ainsi à lancer l’affaire. Passionné par l’histoire culturelle des spiritueux, Alexandre Gabriel s’intéresse logiquement à celle du rhum, dont les origines remonteraient d’ailleurs à La Barbade. Le mot rum apparaît en effet pour la première fois sur l’île, en 1650, dans un document qui recense les actifs de la Three House Plantation, et la production de l’eau-de-vie de canne à sucre aurait commencé huit ans auparavant…

Faire chanter à nouveau le plus vieil alambic au monde

Mais, avant de lancer Planteray, Alexandre Gabriel fait ses premiers pas dans l’univers du rhum en 1999 pour vendre des fûts de cognac d’occasion. "Je passe ensuite au négoce en embouteillant des lots provenant de différents terroirs comme la Jamaïque, Trinidad, la Guyane ou Fidji, en ayant toujours l’envie d’élaborer le mien", raconte-t-il. Un rhum tel qu’il l’aime "avec du caractère, puissant, parfumé et fruit du mélange de techniques modernes et de méthodes ancestrales". Une visite dans sa distillerie montre qu’il y est parvenu. Des pot stills, souvent dessinés de sa main, côtoient des colonnes qui distillent des mélasses comme du pur jus de canne. Un champ des possibles élargi par le plus vieil alambic au monde encore en activité, le Rockley !

"Ses origines remontent à la toute fin du XVIIIe siècle", estime Alexandre Gabriel, qui l’a découvert abandonné à l’ombre des cocotiers de la Wird avant de l’envoyer en réparation dans la Charente afin de "le faire chanter de nouveau". Autre signature maison : la double maturation. Les rhums Planteray subissent un premier élevage tropical dans les chais barbadiens (de 7 à 8 % de part des anges), avant de partir à Cognac par la mer pour un vieillissement continental. Pourquoi le bateau ? "Le roulis permanent entraîne une interaction maximale entre le bois et le liquide pendant la traversée", explique le maître distillateur. Le diable se niche dans les détails.

Comptant aujourd’hui une dizaine de références permanentes, la gamme Planteray s’enrichit régulièrement d’éditions limitées et d’une série annuelle de single casks aux vieillissements pour le moins audacieux (fûts d’amaretto, de saint-estèphe, d’umeshu). Les collectionneurs se les arrachent. Alexandre Gabriel aime aussi se plonger dans les archives pour recréer des rhums qui frappent l’imaginaire. Exemple avec l’un de ses derniers-nés : le Mister Fogg Navy Rum, un blend (Barbade, Trinidad, Guyane, Jamaïque) qui rappelle la période (1655-1970) où les marins de la Royal Navy recevaient quotidiennement une ration d’eau-de-vie "overproof". Celui de Planteray affiche un taux d’alcool de 55,7 %, dans la robuste tradition des Navy Rum.

Une qualité reconnue internationalement

Que la qualité du rhum barbadien soit aujourd’hui internationalement reconnue constitue une aubaine pour l’agriculture locale. Tant pour la canne à sucre, dont le déclin semblait inéluctable avec la crise de l’industrie sucrière, que pour la noix de coco, une autre importante ressource de l’île. Les fermiers du cru sont désormais soutenus par Alexandre Gabriel qui s’engage à racheter leurs récoltes pour élaborer son Planteray Cut & Dry, dont la recette à base de noix de coco infusée dans un rhum vieilli se révèle un beau succès. Une sophistication qui prouve la montée en gamme du nectar phare de La Barbade.

Antoine Couvreur, qui dirige Mount Gay, la plus ancienne distillerie de l’île, fondée en 1703, confirme cette tendance : "Les consommateurs recherchent des produits avec une histoire et une provenance riches. Sur ce point, le rhum local se distingue par son lien avec le terroir unique du cru et ses traditions séculaires de fabrication. Nous allons continuer à repousser les limites de ce qu’un rhum vieilli peut donner." Mount Gay en livre un aperçu avec la série Single Estate produite uniquement à partir d’une canne à sucre récoltée sur une parcelle de 324 acres dans la paroisse la plus au nord de Saint Lucy. Un avant-goût de paradis. La Barbade somme toute.

> Retrouver notre sélection de rhums de La Barbade sur L'Express.fr

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