Vendée Globe. Bonne Espérance en approche !
Le scénario en tête de flotte a légèrement évolué à l’approche du Cap de Bonne Espérance. Charlie Dalin conserve la tête, mais son cavalier seul, un temps envisagé, laisse place à un groupe leader de six bateaux qui avancent toujours à bonne vitesse, bien que légèrement moins vite qu’Armel Le Cléac’h lors de son record. Avec Jingkun Xu, 38e, l’écart atteint désormais 2 300 milles nautiques, et la flotte s’aligne tout le long de l’Atlantique Sud, à la queue leu leu.
Les foilers de dernière génération continuent de creuser l’écart, mais ils devraient bientôt ralentir et pouvoir souffler un peu. Charlie Dalin commence à ressentir l’affaiblissement de la dépression sur laquelle il surfait depuis quelques jours. Elle perd en intensité dans le sud, annonçant un nouveau départ au passage du Cap de Bonne Espérance. Ce sera le moment idéal pour effectuer un check complet du bateau et de sa structure après une deuxième semaine intense. La zone du Cap des Aiguilles est particulièrement dangereuse, avec la présence fréquente d’OFNIs (cétacés ou containers). Charlie Dalin, avant son départ, avait étudié les statistiques du Vendée Globe et prévoit de relever ses foils dans cette zone pour limiter les risques de collision. Historiquement, 15 à 20 % des abandons surviennent ici.
Thomas Ruyant reste dans le sillage de Dalin, tandis que Sébastien Simon, à bord de Groupe Dubreuil, surprend en s’installant en deuxième position. Il a battu le record de la distance parcourue en 24h avec 610 mn. Impressionnant. Si son talent et son bateau étaient connus, il est impressionnant de le voir attaquer si fort, lui qui avait dû abandonner il y a quatre ans après une collision avec un OFNI, précisément dans cette même zone. La prudence sera de mise.
Yoann Richomme, en quatrième position, a passé les derniers jours en mode guerrier, secoué par une trajectoire plus sudiste avec des vagues plus importantes. Il sera sans doute soulagé que les conditions se calment. Jérémie Beyou, blessé au genou, semble se rétablir et reste en embuscade, tout comme Nicolas Lunven. Derrière eux, Sam Goodchild, Yannick Bestaven, et Paul Meilhat suivent le rythme, ayant résisté pour ne pas se faire décrocher. Ils restent donc bien dans le match.
Des performances qui font siffler Romain Attanasio presqu’autant que les foils de son IMOCA Fortinet-Best Western, toujours en 15e position mais plus de 900 milles derrière la tête de flotte :
On voit bien que malheureusement pour les bateaux à dérives c’est plus difficile, aujourd’hui les foilers sont intouchables en vitesse ! Et même moi, avec des petits foils, c’est impossible de tenir le rythme des premiers, ils vont tellement vite ! On a beaucoup dit il y a quatre ans « ouais, les foilers tout ça », mais il y a quatre ans, c’était un scénario totalement différent. Peut-être que ça va se reproduire dans la course, qu’à un moment ça va revenir par derrière, mais aujourd’hui ça part par devant comme ça le fait en général, et on voit bien que les vitesses sont dingo, et donc les écarts complètement fous ! C’est comme ça : c’est un Vendée Globe à foilers, pour les foilers !
Force est de constater qu’ils tiennent en tous cas la marée, à ce rythme déjanté. Cette nuit encore, les neuf premiers bateaux sont à plus de 22 nœuds de moyenne, et même si on commence à se répéter, il y a de quoi s’interroger. Franchement, comment font-ils, une fois rentrés à terre, pour ne pas trouver la vie tristement fade ? Bâillent-ils discrètement pendant les turbulences aériennes, espérant secrètement que le pilote n’indique pas de boucler sa ceinture ? Fréquentent-ils à leurs heures perdues les bordures d’autoroute par nostalgie auditive de leurs sensations du large ? Ou pire, s’offrent-ils en cachette après le déjeuner une entrée dans un parc d’attraction pour piquer sur le grand huit un petit roupillon ? Non vraiment, ça nous effraie : comment peuvent-ils apprécier notre compagnie, nous les tristes terriens qui avons déjà l’impression de vivre une épreuve quand notre tartine matinale retombe du mauvais côté ?
En attendant, eux n’en ont plus de tartines. Car 18 jours en mer marquent une première limite : celle de la fin du « frais » dans l’avitaillement. Ainsi Sébastien Marsset (Foussier, 31e) montrait, dépité, son pain piqué de moisi, qui ferait baver de jalousie le plasticien Michel Blazy. Le marin nantais devrait s’associer à Thomas Ruyant, qui a certes encore quelques tranches de brioche, mais plus de confiture maison pour les agrémenter. Joueur, Romain Attanasio s’est même payé une intoxication alimentaire il y a 48 heures, mais promet « qu’il va bien mieux maintenant ». A-t-il trouvé le coupable ? « Je ne veux pas accuser à tort », nous répond-il, magnanime.
Ragaillardi, le marin originaire des Hautes Alpes s’emploie désormais à trouver le « tout petit trou de souris dans lequel il va falloir se faufiler », lui qui est déjà « dans les derniers souffles » de la dépression qui l’a propulsé dans la bonne direction :
Il n’y a vraiment pas de marge, c’est pas évident : d’un côté il y a de la molle, de l’autre côté il y a le front. Je vais essayer de passer au milieu de tout ça sans me faire piéger, et à un moment je me ferai rattraper, il faudra empanner vers le Sud et puis rattraper le vent du Sud !
Devant lui d’ailleurs, les trois navigatices Samantha Davies (Iniatives-Coeur, 10e), Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 11e), et Justine Mettraux (Teamwork – Team SNEF, 13e), ont déjà opéré le grand plongeon. S’il prévoit d’être à la longitude du Cap de Bonne Espérance dans six jours, le skipper de Fortinet – Best Western observe en tous cas déjà « un net rafraîchissement » dans la vie du bord : « Là je passe le nez dehors, je suis en t-shirt et pour la première fois, il fait un peu frais. Je crois que ça va être la première nuit où je vais fermer le sac de couchage et mettre une petite polaire ! »
« J’ai repris du poil de la bête »
Encore 700 milles derrière, Arnaud Boissières (La Mie Câline, 20e) n’en est pas encore là, mais il s’est donné une belle suée pour prendre la tête de son groupe. Car les foils ne font pas tout, encore faut-il aller au bon endroit, reconnaît celui qui a pris l’ascendant sur les premiers bateaux à dérives :
Je suis plutôt en forme, j’ai repris du poil de la bête, je suis content du positionnement forcément ! Il y a quelques jours j’étais à vue avec Violette et Eric, je sentais pas trop l’Est sachant que l’anticyclone allait gonfler, donc j’ai tiré un peu la barre, j’étais un moment avec Benjamin et j’ai continué à tirer la barre, chercher la courbure que j’ai trouvé, et là ça se passe pas mal !
L’expérimenté marin ne s’échauffe toutefois pas, soulignant que « la suite est incertaine, on a deux jours de vent un peu irrégulier, avant du vent un peu plus fort avec des vitesses plus adaptées à nos bateaux. » Alors il en profite pour apprécier les conditions paradisiaques qui l’accompagnent dans cet Atlantique Sud. Est-ce qu’il y a des choses qui le surprennent encore, lui qui en est à son cinquième Vendée Globe ?
Je touche du bois, j’en ai à bord, c’est relativement clément ! On navigue extrêmement groupés, j’ai croisé un paquet de bateaux depuis le départ, ça c’est chouette, c’est riche sportivement !
Car si bien sûr, l’addition est déjà salée par rapport aux premiers, lui est bien placé pour savoir que la partie est loin d’être achevée, et qu’il ne faut pas perdre de vue l’essentiel. Et sur sa longue route, il profite d’ailleurs de l’instant pour envoyer ses pensées à Jean Coadou, personnage emblématique du paysage de la course au large depuis plusieurs décennies, « dont j’ai appris la disparition, ce matin. C’était un président du jury extraordinaire, toujours à l’écoute, plein d’humilité, très sympa. Vraiment un mec bien comme on aime avoir dans les organisations de course, j’ai une pensée à sa famille, et je penserai bien à lui sur ce Vendée Globe. »