"Immunité" de Benyamin Netanyahou en France : ce que dit la Cour pénale internationale
En invoquant mercredi 27 novembre "l’immunité" dont bénéficierait le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), Paris soulève de nombreuses questions et s’attire de vives critiques de juristes et d’ONG.
La CPI avait créé une onde de choc en annonçant, le 21 novembre, deux mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre de Benyamin Netanyahou et de son ex-ministre de la défense Yoav Gallant. Une décision qui a immédiatement suscité la fureur d’Israël, qui a fait appel mercredi de la décision de la Cour. Israël n’est de toute manière pas signataire du Statut de Rome, et ne reconnaît ainsi pas la légitimité de la CPI.
Très vite pressé de questions pour savoir si le dirigeant israélien serait arrêté en cas de présence sur le territoire français, le gouvernement d’Emmanuel Macron est le premier, et pour l’instant le seul des 124 Etats signataires du Statut de Rome à avoir évoqué une "immunité". L’Italie ou le Royaume-Uni eux, ont immédiatement annoncé qu’ils respecteraient leur engagement auprès de la CPI. Paris répète pourtant depuis plusieurs jours que la France "respectera ses obligations internationales", mais le ministère des Affaires étrangères de Jean-Noël Barrot a mis en avant dans un communiqué que le Premier ministre israélien pourrait bénéficier de "l’immunité des Etats non parties à la CPI".
Une zone grise introduite par l’article 98
De quelle immunité parle la France ? La diplomatie Française invoque les obligations prévues dans le droit international liées aux "immunités des Etats non parties à la CPI", c’est-à-dire des Etats qui n’ont pas signé le Statut de Rome et ne reconnaissent pas la Cour. Ce qui est le cas d’Israël. La France a assuré que "de telles immunités s’appliquent au Premier ministre Benyamin Netanyahou" et "devront être prises en considération".
Et que dit la Cour pénale internationale ? L’article 27 du statut de Rome, qui instaure la CPI en 1998, stipule pourtant que "la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut". "Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne", précise même ce texte.
L’article 98 en revanche, introduit une exception concernant l’arrestation et la remise de responsables d’Etats non-membres de la CPI, comme c’est le cas d’Israël, et ouvre la voie aux interprétations. "La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des Etats ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un Etat tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité" affirme ainsi le texte. C’est sur cet article que se base notamment la position française.
La France déclenche l’ire des juristes et ONG
En réponse à cette prise de position plus que controversée de la France, les juristes renvoient à plusieurs décisions de la CPI, dont l’une le 24 octobre dernier. Saisie du refus de la Mongolie, signataire du Statut de Rome, d’arrêter le président russe Vladimir Poutine alors qu’il se trouvait sur son territoire, la Chambre préliminaire de la CPI a réaffirmé que "l’immunité personnelle, y compris celle des chefs d’Etat, n’est pas opposable devant la CPI. Les Etats "parties" ont le devoir d’arrêter et de remettre les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, quelle que soit "leur position officielle ou leur nationalité". En 2017, la Chambre préliminaire avait rendu une décision similaire concernant l’Afrique du Sud, Etat "partie" de la CPI, qui n’avait pas arrêté le président soudanais Omar el-Béchir sur son territoire en 2015.
Ni la Russie ni le Soudan ne sont Etats "parties" à la CPI, mais la France n’a jamais soulevé publiquement la question de l’immunité de ces dirigeants. Paris avait même salué une décision "extrêmement importante" lors de l’émission du mandat d’arrêt contre Poutine. "La France ne peut pas avoir une position avec Poutine et une autre concernant Benyamin Netanyahou", estime Balkees Jarrah, spécialiste de la justice internationale à Human Rights Watch, dénonçant une "honteuse politique à la carte" de Paris.
????Mandats d’arrêts de la @IntlCrimCourt (CPI) : sur l’immunité de Benjamin Netanyahu, la France ment
— FIDH (@fidh_fr) November 27, 2024
La @fidh_fr et la @LDH_Fr - organisation membre de la #FIDH en #France, désapprouvent catégoriquement les déclarations de la diplomatie française sur la prétendue immunité du… pic.twitter.com/U6cdBGoIHm
Pour la directrice France de HRW, Bénédicte Jeannerod, la position française est donc "profondément choquante". Un constat sur lequel s’accordent d’autres spécialistes, pour qui le positionnement de Paris ne tient pas. "Il y a une obligation juridique et sans ambiguïté de tout Etat partie au Statut de Rome à exécuter les mandats d’arrêt de la CPI", affirme Me Clémence Bectarte, spécialiste en droit pénal international, qui ajoute que "l’obligation vis-à-vis de la CPI prime sur toute autre obligation ou considération". Amnesty International quant à elle insiste sur "les obligations fondamentales de la France en tant qu’Etat partie à la CPI". "Les mandats d’arrêts de la CPI ne sont pas négociables", dénonce la FIDH, pour qui la décision française "fragilise dangereusement le droit international".