Le chaos sous verre
Au milieu de l’océan Indien ou aux abords du cap de Bonne Espérance, les marins du Vendée Globe se font secouer comme s’ils étaient dans une gigantesque boule à neige. A l’intérieur, il y a quelques jours encore, tout était relativement calme mais voilà qu’une main géante a décidé de « voir la neige tomber » et l’a agité vigoureusement. Dans la tempête, tous essaient de tenir bon mais tous prennent des gnons dans la figure. Confronté à une avarie sérieuse sur un élément mécanique du gréement de son IMOCA, Louis Burton (Bureau Vallée) a d’ailleurs annoncé son abandon la nuit dernière. Les autres continuent d’essayer de trouver le meilleur compromis entre performance et sécurité mais alors que la plupart d’entre eux cherchent plutôt à ralentir leur bateau pour éviter les saltos avant ou les Lutz non contrôlés, en tête de flotte, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) font, au contraire, en sorte de cavaler le plus vite possible pour ne pas se faire rattraper par le centre de la grosse dépression qui leur court après comme un chat affamé le ferait après une boîte de thon. Pour eux, l’enjeu est de taille car s’ils y parviennent, ils sont susceptibles de décrocher un joli petit pactole !
« C’est le grand huit de la foire du Trône : ça monte, ça descend, ça accélère, ça décélère et ce qui est bien c’est qu’il n’y a pas besoin de repasser à la caisse pour racheter un ticket, c’est toute la journée ! », a résumé Yannick Bestaven (Maître CoQ V). Sur l’eau, qu’ils se trouvent au nord des Kerguelen ou à proximité de la pointe sud de l’Afrique, les marins du Vendée Globe composent presque tous avec des conditions musclées mais d’un côté comme de l’autre, ce qui les enquiquine plus encore que le vent fort, c’est la mer dont la surface se plie, se froisse et se déchaîne littéralement. « On se fait pas mal secouer depuis deux jours. Le bateau prend de grosses accélérations et s’écrase dans la vague d’en face. Ça fait des plantés dans tous les sens et ce n’est pas hyper agréable. J’ai l’impression de naviguer dans le Raz Blanchard sauf que d’habitude c’est l’affaire de quelques heures et que là, c’est H24 ! », a commenté Louis Duc (Five Group – Lantana Environnement) lors de la vacation officielle, alors en plein test de la souplesse de ses vertèbres dans les tourbillons du courant des Aiguilles. « On passe de 30 à 10 nœuds presque en une fraction de seconde. Ça sollicite pas mal le bateau et c’est assez éprouvant pour le bonhomme. Il faut être bien dessus sinon on finit sur les portières, en vrac, avec le risque de casser des voiles ou du matériel », a ajouté le navigateur Normand, l’un des quinze bizuths du Vendée Globe, qui démarre ainsi son expérience dans les mers du Sud façon fusée : direct dans l’orbite du chaos !
Contrôler sa vitesse
Le tableau est relativement similaire en tête de flotte, ainsi que l’a relaté Paul Meilhat situé, pour sa part à 1 500 milles de là, au beau milieu de l’océan Indien. « Manger, s’endormir… tout est très compliqué. Il faut faire attention à ce que le bateau ne parte pas en survitesse parce que les vagues sont vraiment grosses », a détaillé le skipper de Biotherm qui a pourtant pris soin d’adapter sa trajectoire, ces derniers jours, pour justement éviter le plus gros du mauvais temps sur sa route. « Je m’étais fixé cinq mètres de vagues comme limite en sachant qu’il y a jusqu’à dix mètres de creux (et 65 nœuds de vent) dans le noyau de l’énorme dépression qui se trouve devant nous », a indiqué le marin qui voit le vent s’apaiser un peu après avoir composé avec une quarantaine de nœuds la nuit dernière mais la mer se dégrader à l’arrière de la zone fermée de basse pression atmosphérique. « Dans les mers du Sud, on est obligé de gérer un minimum le bateau. On n’a pas envie de casser trop de matériel », a rappelé Paul qui dévale aujourd’hui des pentes d’eau plus vite qu’un caddie fou dans une descente de parking.
Tenir encore 24 heures
Le terrain de jeu reste, pour l’heure, logiquement moins bosselé en avant de la dépression mais les conditions ne sont pas moins exigeantes pour Sébastien Simon et Charlie Dalin. L’un et l’autre sont grandement sous pression. Pas de la part de leurs adversaires mais de celle du fameux système lancé à leurs trousses. « Il faut réussir à rester devant encore 24 heures », a confié le skipper de MACIF Santé Prévoyance. Son objectif ? Gagner aussi vite que possible dans l’Est pour profiter de la perte d’intensité de la dépression. Autrement dit, se faire malmener le moins possible lorsque celle-ci l’aura rattrapé. « Chaque mètre de gagné vaut vraiment de l’or. Ça va se jouer à pas grand-chose. Il ne faut pas de contre-temps ni de problème technique. C’est une navigation clairement sur le fil du rasoir. Il n’y a vraiment pas le droit à l’erreur », a indiqué le leader de la flotte qui cravache tant qu’il peut et n’hésite pas, en ce sens, à taper dans son capital sommeil. Il faut dire que l’enjeu est de taille. Car si lui et Sébastien réussissent leur pari de passer sans grabuge et sans se faire aspirer par le centre de la « dép », c’est un gros coup assuré à la clé. « Pour l’instant, je suis plus rapide que les routages. Je progresse à bonne allure mais on est loin du compte encore », a temporisé Charlie qui y verra déjà nettement plus clair demain mais qui devra toutefois patienter au moins jusqu’à samedi pour savoir si dans cette drôle de boule à neige, une fois tous les flocons retombés au fond, il sera en mesure d’être satisfait ou non.
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