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Emmanuel Macron - François Bayrou, le temps des bras de fer : discussion avec Darmanin, silence avec Lecornu, promesse à Bertrand

"Je n’ai jamais eu l’intention de nommer François Bayrou" : parole de président. Parole de président à un ex-président. Le dimanche 8 décembre, Emmanuel Macron est catégorique devant Nicolas Sarkozy. Qui dit vrai, qui dit faux ? François Bayrou racontera, lui, que le chef de l'Etat lui a certifié autre chose : à son prédécesseur, il aurait indiqué son intention de choisir le Béarnais.

Qui dit faux, qui dit vrai ? François Bayrou assure qu’il a dit, entre quatre yeux, à Emmanuel Macron, ce fameux vendredi 13 décembre au matin, qu’il l'avait rejoint pour "de grandes choses" en 2017 - et que la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon entrait dans la catégorie des "petites choses". Emmanuel Macron ne l’entend pas de cette oreille, en tous cas il jure ne pas avoir entendu cela de la bouche du cheval - c’est par un intermédiaire que le message aurait été transmis.

Vengeance et méfiance

Ces deux-là dès le week-end dernier ont voulu faire baisser la température. François Bayrou lui-même l’a demandé à ses proches. Promesse du samedi, démenti du lundi. Il faut les voir le 16 décembre au soir, cellule interministérielle de crise, le président présent physiquement, alerte, aiguisé comme il sait l’être quand les difficultés recouvrent tout ; le Premier ministre à distance, demandant à deux reprises : "Où en sommes-nous des tentes et des bâches ?" tandis que depuis de nombreuses minutes cette question a été tranchée. Puis la disparition : François Bayrou ne répond plus, n'interagit plus. Aurait-il fait un malaise ? s’inquiète même un participant. Le nouveau locataire de Matignon ne peut tout de même pas manquer la synthèse des instructions que s’apprête à prononcer le chef de l’Etat. Ce dernier surveille son téléphone, ses conseillers l’informent-ils que le chef du gouvernement est en ce moment même en direct sur une chaîne de télévision en train de présider son conseil municipal à Pau ? Tant pis, on fera sans lui. Tant mieux, on fera sans lui, voici le président de nouveau seul maître à bord. Le temps de son affaiblissement n’aura que peu duré.

La vengeance est un plat qui n’a pas besoin de refroidir. Dès cette réunion, Emmanuel Macron joue Bruno Retailleau contre son Premier ministre. La mise en scène autour de la cellule de crise n’a qu’un objectif : souligner, surligner la première erreur. Laquelle ? Préférer Pau au pays. Tandis que le ministre de l’Intérieur a sauté dans un avion à l’aéroport d’Ajaccio où il recevait le pape dimanche 15 décembre, pour rejoindre, sans détour par Paris, l’île de la Réunion puis Mayotte et ainsi prouver que l’Etat français n’abandonne aucun de ses territoires, le Béarnais, lui, a défendu son souhait de rester maire et de se tenir aux côtés des Palois. Au premier, en privé, le président attribue un bon point. Au second, il renvoie simplement la mauvaise image.

La méfiance est un cocktail qui peut donner quelques vapeurs. François Bayrou ferait bien de se tenir sur ses gardes. Autour d’Emmanuel Macron, ces jours-ci, on a noté, stupéfait, que le Premier ministre s’évertuait à se montrer indépendant dans la composition de son gouvernement. Oubliant un peu vite qu’à la fin, c’est le président qui nomme. "C’est vrai qu’il a le pouvoir de barrer un nom, modifier des attributions, et il peut le faire à la dernière minute, avant publication du gouvernement…" : rappel innocent d’un stratège du chef de l’Etat. Bayrou en a-t-il conscience ? Macron sans aucun doute, si soucieux de ses prérogatives, "lui qui arrache les pattes des coléoptères depuis qu’il a deux ans", médite un proche. Pour l'heure, les discussions se passeraient plutôt bien.

Une "humiliation" et de "la considération"

Deux noms, deux crispations. Sébastien Lecornu, Gérald Darmanin. Ce qu’Emmanuel Macron aime chez le premier est ce que François Bayrou déteste : sa fidélité au chef de l’Etat, qui lui a permis d’être presque nommé à Matignon cette fois-ci. La composition du gouvernement en aurait d’ailleurs été facilitée puisque le président et le ministre des Armées étaient tombés d’accord sur plusieurs noms, notamment celui de l’occupant de Bercy, poste-clé pour faire voter l’épineux budget 2025. C’est Agnès Pannier-Runacher qui aurait dû se voir offrir le portefeuille. Au lieu de cela…

Lecornu à Matignon ? "C’est une humiliation !" Et qui, la semaine dernière, le dit, le hurle presque au téléphone avec un intime d’Emmanuel Macron ? Le meilleur ami du ministre de la Défense, un certain Gérald Darmanin. Celui-ci considère que le moment n’est absolument pas venu de promouvoir "Sébastien". Le choix de François Bayrou lui convient bien davantage. Car l’ancien ministre de l’Intérieur n’a pas oublié que, durant l’été 2023, quand le président en personne lui avait laissé entrevoir une possible arrivée à Matignon, ce cher Lecornu plaidait, lui, la stabilité avec le maintien d’Elisabeth Borne. A l’époque, François Bayrou, au contraire, n’avait soulevé aucun argument contre la promotion de Darmanin. Après des années d’incompréhension, durant lesquelles le maire de Pau ne voyait dans l’élu de Tourcoing qu’un clone jeune (soit deux défauts pour le prix d’un) de Nicolas Sarkozy, leurs relations se sont apaisées. Dans les jours qui ont suivi l’arrivée du nouveau Premier ministre, les deux hommes se sont parlés. Le Quai d'Orsay apparaît désormais comme une option sérieuse pour l'ancien premier flic de France.

Entre François Bayrou et Sébastien Lecornu, tout commence en revanche par un silence. Celui de l’oubli ou celui du pardon ? En avril dernier, les deux avaient dîné ensemble à Pau. "Fais preuve de considération à son égard" : il avait été dit au ministre de la Défense que le Béarnais le soupçonnait, avec d’autres, de ne pas être pour rien dans ses démêlés judiciaires. Il fallait donc montrer patte blanche. Lecornu avait rejoint la capitale, convaincu qu’entre eux, les choses étaient normalisées.

Sébastien Lecornu, qui devrait rester aux Armées, n’a jamais eu de rapport simple avec les Premiers ministres. Gabriel Attal rappelle volontiers que le ministre de la Défense se faisait porter pâle lorsque lui-même effectuait une visite consacrée aux choses militaires, comme il brillait par ses absences lors des séminaires gouvernementaux. Michel Barnier s’est étonné que le même l’accuse d’avoir lancé son nom dans Le Figaro quand la censure s’est approchée, comme il n’a pas compris que son ministre disparaisse un jour de Questions au gouvernement, alors qu’il était… dans son bureau de l'hôtel de Brienne mais qu’il ne voulait surtout pas donner l’impression d’être en campagne pour Matignon.

Un troisième nom s’invite dans les débats. Lorsqu’il était en campagne pour Matignon, François Bayrou, y compris avec Emmanuel Macron, arguait de la présence au gouvernement de Xavier Bertrand pour attester de sa capacité à rassembler largement. Mais Marine Le Pen, publiquement comme par des canaux privés, a fait passer le message : si le président de la région Hauts-de-France obtient un portefeuille, ne serait-ce que le secrétariat d’Etat aux Choux farcis (qui ne correspond pas exactement à l’ambition sinon aux compétences de Xavier Bertrand), elle considérerait cela comme un casus belli. L’élu du Nord est donc devenu un marqueur de la distance que le nouveau Premier ministre installera avec le Rassemblement national. Bienvenue au pays des cactus.

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