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La Vème République rattrapée par le gouvernement des juges?

Marine Le Pen risque une peine d’inéligibilité, relançant les débats sur l’intervention de la justice en politique. De son côté, l’ancien ministre Éric Dupond-Moretti avait été relaxé malgré des accusations de prise illégale d’intérêt. Quant à Nicolas Sarkozy, il contestera sa scandaleuse condamnation définitive devant la Cour européenne des droits de l’homme. Trois illustrations récentes de l’inquiétante pénalisation de la vie publique en France


Bien que reléguée au rang d’autorité et non de pouvoir, l’institution judiciaire investit désormais le domaine politique, jusqu’à défier la doctrine classique de la séparation des pouvoirs. Le juge ne serait-il donc plus la simple « bouche qui prononce les paroles de loi » (Montesquieu, De l’esprit des lois) ?

Polémique sur la peine d’inéligibilité de Marine Le Pen

En requérant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité contre Marine Le Pen, le Parquet de Paris ouvre une nouvelle controverse sur l’immixtion de l’autorité judiciaire dans la sphère politique. L’exécution provisoire vise à empêcher la candidate naturelle du RN de se présenter à l’élection présidentielle. Pour quels motifs ? Le détournement de fonds publics du Parlement européen reproché est exempt de tout enrichissement personnel et de tout emploi fictif. Le grief en cause est lié à l’emploi des crédits, que le FN aurait affectés à l’action nationale du parti au lieu d’une affectation à son action européenne. S’agissant de la peine d’inéligibilité, en principe obligatoire, le tribunal n’est pas tenu de prononcer son exécution provisoire. Le primat du suffrage universel et la raison juridique commandent que ce dispositif soit exécutoire pour une condamnation définitive.

Les parlementaires, à la différence des ministres qui répondent devant la Cour de Justice de la République (CJR), sont justiciables des juridictions ordinaires, même pour les actes accomplis dans l’exerce de leurs mandats. Soit. Mais, l’ingérence de l’autorité judiciaire dans le pouvoir législatif est le fruit d’une construction jurisprudentielle par laquelle, les juges interprètent, audacieusement ici, le « détournement de fonds publics » dont dispose l’article 432-15 du Code pénal. Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, est même d’avis que cette disposition « n’est pas conçue pour s’appliquer aux conditions d’emploi d’un assistant parlementaire, car les fonctions d’un parlementaire (national ou européen) sont des fonctions institutionnelles, des fonctions de souveraineté… »[1]. Mais nous savons avec Giraudoux que « le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité »[2] ! Les actes politiques appellent donc une responsabilité politique. Les juridictions de droit commun connaissent des infractions de droit commun. Mais tel n’est pas le cas, en l’espèce, à la différence d’un député pris en flagrant délit d’achat de drogue (on pense au LFI Andy Kerbrat) ou de tout autre délit ou crime détachable de la fonction comme celui par exemple le délit d’apologie de terrorisme qui n’a pas pour support nécessaire l’exercice du mandat…

C’est donc la seconde fois depuis l’affaire Fillon que l’autorité judiciaire interfère dans l’élection présidentielle. L’autorité judiciaire a pourtant une lecture vétilleuse de la séparation des pouvoirs lorsqu’elle estime que son indépendance est menacée. Elle s’est montrée courroucée en 2006 au moment de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la Justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement…

La prise illégale d’intérêt devant la Cour de justice de la République

En juin 2020, l’hebdomadaire Le Point révélait l’existence de l’enquête préliminaire parallèle ouverte par le Parquet national financier (PNF) le 3 mars 2014 sur les faits présumés de violation du secret de l’instruction visant à débusquer « la taupe » soupçonnée d’avoir prévenu l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, et son avocat, Thierry Herzog, que leur ligne secrète était surveillée. C’était l’affaire dans l’affaire dite « Bismuth ».

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À cette occasion, les factures détaillées ou « fadettes » des avocats, amis et relations de maître Herzog ont été épluchées. Ces investigations sont à l’origine du conflit entre les magistrats et l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti qui, lorsqu’il était avocat, avait déposé plainte pour atteinte à la vie privée (plainte retirée au moment de sa prise de fonction). L’enquête administrative visant trois magistrats du PNF avec lesquels il avait été en opposition en tant qu’avocat, provoqua la mise en examen du garde des Sceaux du chef de délit de prise illégale d’intérêt, et à son renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR). Pour rappel, cette enquête était demandée à la suite du rapport de l’Inspection générale de la justice sur le fonctionnement du PNF. Le 29 novembre 2023, la Cour prononça la relaxe en jugeant que le ministre était certes « en situation objective de conflits d’intérêts » et que ses décisions étaient matériellement constitutives de prises illégales d’intérêt, mais qu’il ne le savait pas. L’élément intentionnel faisait donc défaut pour que l’infraction soit constituée. Le Parquet avait requis un an de prison assorti du sursis, ce qui aurait contraint le garde des Sceaux à la démission.

L’USM, syndicat majoritaire, qualifiait la nomination d’Éric Dupond-Moretti de « déclaration de guerre à la magistrature ».

La condamnation définitive de Nicolas Sarkozy dans l’affaire « Bismuth »

La Cour de cassation vient de confirmer la condamnation de l’ancien président de la République pour corruption active et trafic d’influence, à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme à exécuter sous bracelet électronique (arrêt du 18 décembre 2024). Il lui est reproché d’avoir tenté d’obtenir des informations auprès d’un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, sur l’instance relative à sa demande de restitution des agendas présidentiels, saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt pour laquelle M. Sarkozy fut d’ailleurs relaxé, en échange d’une promotion de ce magistrat à Monaco. L’affaire, montée au moyen d’écoutes téléphoniques entre un avocat et son client, retranscrites dans le cadre de l’affaire dite du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, viole manifestement les droits de la défense. Il s’agit de sept mois d’interception qui, selon des juristes les mieux avisés (Jean-Eric Schoettl) n’établissent pas de preuves solides, ni même un faisceau d’indices graves et concordants susceptibles de fonder une condamnation aussi infamante. La loyauté des débats est sujette à caution : l’ancien président n’eut officiellement connaissance de ces écoutes que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il ne pouvait donc invoquer leur nullité puisque l’article 385 alinéa 1er du code de procédure pénale prévoyait l’obligation de purger les nullités de procédure avant la clôture. Or, cette disposition fut déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel comme portant atteinte au droit d’exercer un recours effectif et aux droits de la défense (Décision QPC du 28 septembre 2023). L’ancien chef de l’Etat a donc décidé de se pourvoir devant la Cour européenne des droits de l’homme qui a déjà jugé contraire au secret professionnel et aux droits de la défense le fait de retenir à la charge d’une personne la retranscription d’un échange avec son avocat (arrêt du 16 juin 2016, Affaire Buffalo Grill).

L’ascension de l’autorité judiciaire a déséquilibrée la séparation des pouvoirs. Montesquieu préconisait ceci : pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Le temps est venu à bien des égards de limiter l’emprise des autorités judiciaires sur le système politique. Le temps est venu de convoquer un « lit de justice ». Le retour à l’étiage juridictionnel sera plus conforme à l’épure de la séparation des pouvoirs.


[1] Le parquet de Paris veut-il exclure Marine Le Pen du jeu démocratique ? », Le Figaro 14/11/2024

[2] La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935

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