World News in French

Mathieu Molimard : "Sur l’IHU de Marseille, il y a eu une défaillance de l’Etat à tous les niveaux"

Professeur de médecine, pharmacologue, pneumologue, chef de service au Centre hospitalo-universitaire de Bordeaux, Mathieu Molimard est aussi membre de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT). Depuis près de cinq ans, il est devenu l’une des figures de la lutte contre la désinformation médicale. Il s’est distingué par des prises de position claires et un discours direct, n’hésitant jamais à s’opposer aux médecins et chercheurs qui propagent de fausses informations, dont le Pr Didier Raoult. Si son engagement lui a valu des campagnes de diffamation d’une grande violence, cela n’a pas entamé sa détermination. Dernièrement, il a même obtenu, avec l’aide de nombreux autres chercheurs, la rétractation de la toute première étude de l’IHU de Marseille (IHUm) qui prétendait que l’hydroxychloroquine était efficace contre le Covid-19. Et il ne compte pas s’arrêter là.

La première étude du Pr Raoult sur l’hydroxychloroquine a été officiellement invalidée. Vous y avez grandement contribué, en menant le combat depuis plus de quatre ans. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

Mathieu Molimard Cette rétractation est le minimum minimorum. Elle était essentielle, car cet article représentait la fondation du château de cartes qu’était la croyance selon laquelle l’hydroxychloroquine soigne le Covid-19. Mais il y a encore des dizaines d’études de l’IHUm qui doivent suivre. Je pense à celle menée, sans autorisation, sur des étudiantes de l’université d’Aix-Marseille qui ont dû effectuer des prélèvements vaginaux. Et aussi aux autres études sur l’hydroxychloroquine, dont celle sur plus de 30 000 patients, également conduite sans autorisation. Il s’agit du plus grand essai clinique sauvage de l’histoire. Et le pire, c’est que M. Raoult se vante d’avoir mis les bases de données contenant les informations de ces milliers de patients sur des serveurs en Chine et aux Etats-Unis. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) mène l’enquête et heureusement, car il s’agit d’un cas qui peut relever de la justice pénale.

L’Express a récemment révélé un rapport que l’université d’Aix-Marseille (AMU) a tenté de cacher et dont les conclusions sont assassines pour elle et l’IHUm. Le président de l’université, Eric Berton, a assuré auprès du Figaro que ces pratiques appartiennent au passé et qu’il faut "permettre à l’IHU de tourner définitivement la page". Qu’en avez-vous pensé ?

M. Berton pousse la poussière sous le tapis en minimisant la problématique des méconduites scientifiques. Des chercheurs qui enquêtent sur les travaux de l’IHUm ont démontré que près de 600 études de l’IHUm présentent de potentielles irrégularités. Il ne s’agit pas de sept ou huit études comme M. Berton le dit ! Il y a un abcès et au lieu de dire : "Nous allons le soigner", les autorités locales se contentent de placer une compresse. Et cela suppure. Et cela s’aggrave. Pourtant, les dérives sont connues depuis 2018 et le premier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui avait conduit l’Inserm et le CNRS à retirer leur agrément à l’IHU de Marseille. Rien n’a été fait et les dérives ont continué jusqu’au Covid et à l’hydroxychloroquine.

En médecine, face à un abcès, la bonne démarche est d’effectuer un "parage de la plaie" : retirer ce qui suppure ainsi que les peaux mortes afin de retrouver la chair rouge et permettre la cicatrisation. L’IHUm est déjà en train de mourir, sa réputation à l’international est déplorable. On risque l’amputation, ce qui serait une grande perte, car il existe d’excellents chercheurs dans cet institut.

M. Berton a qualifié de "folkloriques" les dérapages de médecins et chercheurs de l’IHUm qui diffusent de la désinformation sur les réseaux sociaux et insultent leurs confrères. Qu’en pensez-vous ?

C’est scandaleux, inadmissible. On ne peut pas admettre qu’un professeur d’université insulte, diffame et menace des collègues à tour de bras. En banalisant ces faits, en disant qu’ils sont "folkloriques", on les minimise. C’est le même mécanisme qui consiste à laisser un abcès suppurer. C’est irresponsable.

L’IHU de Marseille jouit-il d’une impunité ?

Mon impression, c’est que certains de leurs membres grillent des feux rouges en klaxonnant devant une compagnie de CRS et que rien ne se passe.

Qui doit agir ?

Les autorités. François Crémieux, le président des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), a essayé. Mais il n’a pas été soutenu. Ni par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), ni par le ministère de la Santé ou celui de la Recherche. Tous les systèmes de contrôle ont échoué. Tout le monde semble avoir démissionné. Il s’agit d’une défaillance à tous les niveaux de l’Etat.

Et que devraient-elles faire ?

Du ménage. Il y a de nombreux chercheurs de l’IHUm impliqués dans les études frauduleuses qui sont toujours en poste et qui continuent de se pavaner en clamant que leurs études sont irréprochables. C’est de la provocation. Il y a des enquêtes judiciaires en cours, car le procureur de la République a été saisi par de nombreuses autorités dont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Igas [NDLR : ainsi que l’AMU]. J’attends que la justice fasse son travail. J’ai néanmoins des craintes, car en novembre 2020, la procureure de Marseille a classé une plainte concernant le premier essai clinique sur l’hydroxychloroquine, avec des arguments incompréhensibles. Pour la sérénité des débats et l’acceptabilité des décisions de justice, je serais rassuré si ces affaires étaient dépaysées dans un autre tribunal, surtout quand on voit les précédents, avec des menaces et insultes sur les témoins comme la scientifique Dominique Costagliola.

Il faut aussi mettre en place des formations à l’université de Marseille et à l’IHUm. Les documents mis en ligne à destination de leurs chercheurs sont défaillants. Il y a par exemple des recommandations concernant les recherches impliquant la personne humaine (RIPH) qui sont erronées. L’université s’était fait épingler par l’ANSM dans un rapport en 2022. Mais rien n’a changé. Le nouveau document publié le 16 novembre 2024 contient, lui encore, de grossières erreurs. Cela prouve qu’ils n’ont toujours pas compris ce qu’est une RIPH.

Vous êtes devenu une figure de la lutte contre la désinformation scientifique. Mais vous n’êtes pas seul dans ce combat. Qui vous soutient ?

Je veux saluer tous les pharmacologues de France. Ils savent depuis le début que l’hydroxychloroquine ne peut pas marcher contre le Covid-19 car si on traduit la concentration à laquelle ce médicament est efficace in vitro (en laboratoire, dans des cultures du virus) à une concentration in vivo, c’est-à-dire chez l’homme, il faudrait théoriquement attendre d’avoir ingéré au minimum 67 comprimés de Plaquenil dosé à 200 mg soit 13 400 mg. En une prise, c’est la mort assurée. Et même à dose réduite, ce médicament peut être dangereux dans le traitement du Covid-19, puisqu’il peut entraîner des complications cardiaques qui potentialisent celles provoquées par la maladie. La Société française de pharmacologie et de thérapeutique a d’ailleurs émis une alerte à ce sujet dès le mois de mars 2020.

J’ai aussi eu la chance de rencontrer des gens que je n’aurais jamais imaginé connaître, issus de la société civile ou de domaines scientifiques qui ne sont pas les miens. Certains ont une puissance de travail absolument phénoménale et m’ont beaucoup aidé. Tout ce travail de lutte contre la désinformation n’aurait pas été possible sans eux. Je pense notamment au docteur Amélie Boissier Descombes qui a reçu les attaques les plus infâmes, avec qui nous avons mis en œuvre la tribune qualifiant l’étude sur les 30 000 patients de l’IHUm de "plus grand essai clinique sauvage de l’histoire". C’était un travail titanesque. Il a fallu un mois à temps plein pour convaincre les 16 sociétés savantes de signer.

Il y a aussi eu de nombreux autres chercheurs et médecins qui se sont élevés contre les études frauduleuses et la désinformation médicale. Nous n’avons pas forcément travaillé ensemble, mais nous nous sommes serré les coudes. Quand je vois tous ces gens qui se battent pour la vérité scientifique, je retrouve foi en l’humanité.

Vous avez pourtant été pris pour cible, parfois très violemment, sur les réseaux sociaux. Etes-vous inquiet ?

Ce que nous avons observé depuis quelques années, c’est du jamais vu. On nous a accusés d’être payés par l’industrie pharmaceutique simplement parce qu’on constatait que l’hydroxychloroquine ne fonctionne pas. Nous avons été menacés, insultés. J’ai même vu naître quelque chose d’inédit : des procédures bâillons dans la science, autrement dit des procès lancés par des désinformateurs visant à intimider et faire taire. Des revues scientifiques ont même reçu des courriers d’avocats les menaçant de les traîner en justice si elles retiraient des études de l’IHUm.

De mon côté, j’ai aussi eu ma dose de menaces et de harcèlement et je reçois encore des menaces de mort. Heureusement, j’ai le soutien de ma direction, de l’hôpital et de l’université de Bordeaux notamment qui m’ont accordé la protection fonctionnelle [NDLR : une protection administrative qui peut par exemple prévoir la prise en charge des frais juridiques]. Mais eux aussi ont reçu des mails d’insulte et des menaces. Xavier Azalbert, le directeur du blog complotiste France Soir, a même fait envoyer à mon président d’université, avec une copie à mon ministre de tutelle, une mise en demeure signée par son avocat, exigeant de me sanctionner.

Pourquoi le combat pour la rationalité est à ce point important ?

Nous voulons que la science soit respectée, que les études qui ne respectent pas les normes éthiques et légales soient retirées. Cela est nécessaire si nous ne voulons pas connaître les mêmes mises en danger de la santé publique lors d’une prochaine crise sanitaire. Ma bataille actuelle est de trouver un moyen pour lutter efficacement contre la désinformation en matière de santé. Il faut bien sûr faire de la veille pour identifier les fausses informations. Mais la SFPT est une société savante dotée d’un petit budget reposant essentiellement sur la cotisation de ses membres. Nous avons beaucoup moins d’argent que des associations antivax comme Bon Sens, qui récoltent malheureusement des millions. Nous avons néanmoins lancé les PharmacoFact, des contenus en ligne qui répondent directement aux fausses informations que l’on trouve sur les réseaux sociaux. Et nous travaillons sur un projet de développement d’outils d’Intelligence artificielle qui pourraient nous aider dans cette mission.

L’étape d’après, plus ambitieuse, est celle de l’éducation. Je suis persuadé que le succès de la désinformation prouve que de nombreuses personnes n’ont pas le minimum de culture nécessaire pour comprendre le fonctionnement des médicaments. J’anime un cercle de réflexion, les "Ateliers de Giens", et l’un des ateliers de cette année vise à déterminer quel est le minimum à enseigner à l’école.

Il faudrait aussi mieux former et informer les médecins, notamment en pharmacologie. Et je rêve d’une plateforme d’information ouverte qui propose des informations factuelles validées par un conseil scientifique, avec un système d’information transparent et une FAQ [NDLR : Foire aux questions] pour les journalistes, pour les médecins et pour le grand public. Le tout avec une intelligence artificielle qui permettrait à chacun de trouver facilement des réponses à ses questions.

N’avez-vous jamais été tenté d’abandonner ?

Il y a des jours où je me lève et me dis : "Les autorités ne font rien. Pourquoi je m’embête ?" Mais je n’ai jamais eu envie d’abandonner, non. Je suis coriace et je ne me laisse pas faire. Je vais porter plainte pour harcèlement à l’encontre de plusieurs personnes. Dans ce cadre, j’ai été aidé par des proches, parfois même des anonymes qui ne demandent rien, mais qui compilent toutes les horreurs qu’ils voient passer sur les réseaux sociaux. Comme je disais, nous nous serrons les coudes avec des personnes qui s’engagent pour le rétablissement des faits et la lutte contre la désinformation en santé. C’est ce qui fait qu’on se lève tous les matins et qu’on continue ce combat.

Читайте на 123ru.net