Automobile : pourquoi la préférence européenne divise encore Paris et Berlin
Attention, nouvelles étincelles en perspective entre la France et l’Allemagne. Après les dissensions sur le Mercosur, le SCAF, le système de combat du futur et celles sur la saisie des actifs de la banque centrale de Russie, un nouveau sujet pourrait bien tendre encore un peu plus les relations entre les deux poids lourds de l’Union européenne : la préférence européenne dans le secteur automobile.
Portée par l’Elysée depuis des mois et défendue bec et ongles à Bruxelles par Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission chargé de la stratégie industrielle, l’idée d’imposer un seuil de contenu local dans la production de véhicules fabriqués sur le sol européen s’est peu à peu imposée dans les débats européens… Sauf que rien n’est encore gravé dans le marbre.
Initialement, un pourcentage précis de "Made in Europe" ainsi que les contours exacts de la règle (batterie électrique incluse ou pas) devaient figurer dans le "paquet automobile" présenté à la mi-décembre par la Commission. Mais les négociations ont traîné en longueur et en dépit des pressions du commissaire français, la décision a finalement été reportée au 28 janvier. La mesure devrait ainsi figurer dans un ensemble plus global baptisé "Industrial Accelerator Act". "Obtenir un accord sur ce sujet est essentiel pour la France qui a accepté de lâcher du lest sur la borne de 2035 concernant l’interdiction de ventes de véhicules thermiques", souligne un observateur.
Pour la France, cette préférence européenne a deux objectifs. D’abord forcer les constructeurs automobiles chinois qui souhaitent produire en Europe à travailler davantage avec des sous-traitants locaux. L’enjeu est de taille. Leurs capacités de production totales pourraient grimper de 200 000 véhicules en 2026 à 750 000 en 2027 et plus d’un million d’ici la fin de la décennie. Or le contenu local de leur production ne devrait guère dépasser les 30 %, d’après les estimations du Clifa (le comité de liaison des fournisseurs de l’automobile). "C’est très peu quand on sait que les trois-quarts de la valeur d’une voiture viennent des composants achetés. La valeur ajoutée du constructeur est en réalité assez marginale. Avec cette préférence européenne, il s’agit d’éviter que le Continent ne devienne une simple zone d’assemblage", analyse Arnaud Aymé, directeur France du cabinet Sia Conseil. Un seuil qui s’imposerait aussi aux constructeurs européens qui ont eu tendance ces dernières années à s’approvisionner de plus en plus en composants fabriqués hors de l’Union - au Maghreb, en Turquie et en Chine - pour restaurer un peu leurs marges.
Sous-traitants contre constructeurs
Reste que les constructeurs allemands goûtent peu une telle obligation. "Eux craignent surtout des rétorsions commerciales de la part de la Chine alors que l’Empire du Milieu reste un marché important même s’ils y perdent des parts de marché aussi", poursuit Arnaud Aymé. A la publication du "paquet automobile" et alors que l’idée d’un contenu local était évoquée, Hildegard Müller, la présidente de la très puissante association de l’industrie automobile allemande (VDA) a mis les pieds dans le plat : "Je ne cache pas mon désaccord quant à la forte domination française en matière de contenu local. J’estime que les intérêts allemands y sont insuffisamment représentés".
Une bataille qui en cache une autre, celle qui oppose les constructeurs européens aux sous-traitants du Continent. "L’opposition est frontale car leurs intérêts sont divergents", ajoute Arnaud Aymé. Les équipementiers plaident pour un seuil de contenu local de 75 % quand les constructeurs militent, eux, pour une limite à 60 %. Un chiffre qui en dira long sur l’influence des grands constructeurs sur la Commission et le Conseil européens.