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Prévention du suicide, le sujet tabou pour les proches des victimes


"Comment aurais-je pu prévoir?"

C'est la question que tout le monde est amené à se poser quand un proche met fin à ses jours. Que vous soyez l'ami lointain qui le voyait une fois par an ou le conjoint qui lui souhaitait une bonne journée quelques heures avant le drame, la question vous hantera le restant de vos jours.

Chaque dernier moment prend soudain une importance démesurée: le dernier rendez-vous que vous avez annulé, la dernière dispute, le coup de fil que vous n'avez jamais passé, le "Je t'aime" qui n'a pas été formulé. Mon mari Rob s'est suicidé cette année, une bataille perdue contre une dépression qui le tiraillait depuis des décennies. Comment j'aurais pu le prévoir ? C'est la question que je me pose tous les jours.

Crédit: Poorna Bell


Dans les moments les plus sombres, je me demande s'il ne serait pas mort de cette façon quoi qu'il arrive. Il y avait des signes indéniables. Il s'était déjà trouvé devant cette porte auparavant. Il avait même été jusqu'à l'ouvrir, et regardé devant lui pour contempler ce qui viendrait ensuite. Et pour une raison ou pour une autre, il était toujours revenu sur ses pas - qu'il ait été momentanément retenu par notre amour ou par l'espoir infime de lendemains plus radieux.

Le 28 mai dernier, il n'a pas trouvé l'étincelle et a franchi le pas de la porte. Son étoile s'est éteinte et le monde a été plongé dans les ténèbres. Depuis cet instant, la seule façon que j'ai trouvée pour réussir à sortir du lit c'était de me dire, comme un mantra, que je n'aurais pas pu le prévoir. Que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais au bout du compte, c'était là une maladie plus forte que lui, et certainement plus forte que moi et le reste des gens autour de nous.

Mais qu'en est-il de ceux qui ne sont pas malades? Ceux qui risquent le suicide parce qu'on ne leur donne pas l'aide qu'il faudrait? Est-ce qu'on en fait assez pour aider ceux qui souffrent? Et à quel moment la vie des autres nous échappe?

Après avoir écrit un article de blog - véritable lettre d'amour à Rob - sur les stigmates de la maladie mentale et dans lequel j'expliquais pourquoi je comprenais le geste de mon mari, j'ai été époustouflée par les réponses que j'ai reçues. Et voici ce que j'ai appris.

Pour ceux d'entre vous atteints de dépression et autres maladies mentales, il vous suffisait de constater que je comprenais ou essayais de comprendre ce que vous et mon mari traversiez. Ce que vous aviez du mal à accepter en revanche c'était que certaines personnes ne veuillent pas comprendre ce que vous viviez, et dans certains cas, mettent en doute votre souffrance. Vous aviez l'impression de ne pas être entendus. Voici donc une bonne leçon de prévention : plutôt que de vous dire quoi faire, nous devrions vous écouter.

Des lecteurs ayant déjà pensé au suicide m'ont écrit pour me dire qu'ils avaient surmonté cette phase en se confiant à des proches, qui les avaient soutenus. Ils avaient en outre accès à un traitement médical adéquat et des médecins compétents.

Mais ils faisaient aussi preuve de réalisme et savaient qu'ils devaient gérer leur maladie au lieu de faire comme si de rien n'était. Ou plutôt, ne pas se forcer à être 'normaux'. Ils ne sont pas responsables de cet état de fait. La société a les plus grandes difficultés du monde à accepter qu'une maladie mentale existe au même titre qu'une souffrance physique.

J'ai aussi compris que nombre d'entre eux se sentaient trahis par le gouvernement et la structure bancale mise en place pour préserver la santé mentale. C'est pourquoi, je pense, le mot prévention me semble si difficile à accepter. Pour moi, tout l'amour du monde ne servira à rien tant qu'une infrastructure médicale adéquate ne sera pas mise en place pour vous soutenir.

Nombreux sont les proches de suicidés à m'avoir confié la honte et la colère de leurs familles, qui cherchaient à dissimuler ces émotions. Ou le fait que la personne décédée n'était jamais mentionnée parce que ça rendait tout le monde mal à l'aise. "Nous faisons partie d'un club dont personne ne veut être membre," m'a écrit une veuve dans une lettre poignante.

L'évocation du suicide est source de gêne. L'autodestruction va à l'encontre de tout instinct de survie humain, mais au lieu de comprendre ce qui peut amener quelqu'un à passer à l'acte, la société se bouche les oreilles. La prévention devrait donc, entre autres, passer par une déstigmatisation de la maladie mentale.

Nous devrions aussi accepter de parler des réalités qu'implique une maladie mentale. Vivre avec une personne qui en est atteinte n'est pas une partie de plaisir. Lui survivre non plus. Vous vous dites que l'autre vous a éloigné de sa vie. Vous vous sentez démuni et révolté devant votre impuissance à améliorer la vie de celui que vous aimez.

Mais souvenons-nous que cette tendance à se retirer de la vie et des gens est un des aspects de la maladie. Donc malgré ses efforts à vous écarter de sa vie, ne baissez pas les bras. Mais alors qu'est-ce qui nous reste, à nous amis et parents inquiets et épuisés, nous qui justement en avons marre d'être inquiets et épuisés?

J'ai une histoire qui pourrait répondre à cette question.

Quand Rob a eu sa première crise dépressive qui l'a conduit pour la première fois à l'hôpital, j'étais désemparée. Les années passées à le soutenir m'avaient épuisée. Et j'ai dit à ma mère: '"Je ne sais pas si je vais pouvoir tenir. Je l'aime mais parfois c'est trop dur." 

Elle a pris mes mains et m'a regardée dans les yeux. Et elle m'a dit: "Poorna, pense aux Jeux olympiques. Pourquoi penses-tu que le pays hôte s'en sort toujours mieux que les autres années? "C'est parce que la nation entière supporte les sportifs, hurlant leur amour et leur soutien. Et c'est ce que nous devons faire pour Rob. Nous devons être son équipe."

Voici mon message à tous ceux qui souffrent : sachez que nous sommes avec vous. Sachez que même si ça n'est pas toujours facile, même si nous ne comprenons pas toujours tout, accrochez-vous. Et à ceux qui les soutiennent - nous sommes leur équipe.

Nous devons tenir et être présents pour ceux que nous aimons. Pas seulement quand tout va bien, parce que le moment qui compte vraiment c'est quand tout va tellement mal que vous pensez ne jamais revoir la lumière.

Une équipe ne peut pas se permettre d'être inconstante. L'équipe est la colonne vertébrale. L'équipe peut s'énerver, s'agacer, mais ne jamais perdre la foi. Et, quoi qu'il arrive, nous sommes ensemble, parce que si nous ne pouvons pas y arriver seuls, comment pouvons-nous nous attendre à ce qu'ils y arrivent ?


Crédit: Poorna Bell/Pinterest


Pour Robert Owen Bell, 23 décembre 1975 - 28 mai 2015

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post britannique, a été traduit de l'anglais par Matthieu Carlier.

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