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Cameron, le cochon et l'élite

POLITIQUE - Ils ont bien ri, les anglais, en découvrant dans une nouvelle biographie non-autorisée que leur Premier Ministre, David Cameron, avait à l'occasion d'une cérémonie d'initiation étudiante inséré ses parties intimes dans la tête d'un cochon mort. Les réseaux sociaux ont usé et abusé de tous les jeux de mots possibles et imaginables, les montages Photoshop plus ou moins grossiers ont fleuri, les comparaisons inévitables à la série Black Mirror -dont l'épisode pilote comprenait une intrigue remarquablement similaire- également. Et c'est vrai que c'est drôle. Vu de notre côté, du continent, c'est même absurde et la première réaction est évidemment d'en rire.

Mais pris avec un peu de recul, l'événement est extrêmement révélateur du système anglais, et même de la formation des élites britanniques. Et c'est là que ça devient beaucoup plus dramatique.

J'avais déjà eu l'occasion ici de parler des différences de classe sur les campus des universités britanniques, et des cérémonies d'initiation bizarres (par exemple les défis: manger des croquettes pour chien, boire jusqu'au coma, etc). Mais nous parlons ici d'Oxford, un campus où, de fait, les étudiants sont déjà pour la majeure partie extrêmement privilégiés: ou bien parce que les familles ont beaucoup d'argent, ou parce qu'elles ont un capital culturel considérable et qu'elles ont pu assurer à leurs enfants l'accès à une éducation de haut niveau -Cameron est lui-même issu d'Eton College, haut lieu de la classe supérieure britannique.

L'Angleterre n'a pas d'ENA, mais on tient là son institution équivalente: les diplômés d'Oxbridge (contraction d'Oxford et Cambridge, les deux plus prestigieuses universités anglaises), ce sont les futurs dirigeants du pays (il faut d'ailleurs voir quelle proportion de députés en sortent: en 2010, trente pour cent.) C'est aussi là qu'on se constitue un réseau: dans les soirées beuverie autant que dans les classes, les cours et les cafés.

David Cameron était, lors de ses années à Oxford, notoirement membre du controversé Bullingdon Club: là, on vandalise des restaurants pour s'amuser (on a de toute manière de quoi payer les réparations), ou bien on brûle des billets de banque devant des SDF. Des actions que Cameron et d'autres, comme le Ministre du Budget, George Osborne, ami de longue date, ou le maire de Londres Boris Johnson ont affirmé "regretter" depuis.

Que des jeunes gens ivres s'adonnent à des activités stupides n'a rien de nouveau ni de surprenant. Mais ce que le Bullingdon Club dit, c'est que le groupe acquiert aussi un sentiment d'impunité inébranlable: la supériorité, l'aisance, l'impression de "valoir" mieux que les autres. Cela, les politiciens mais aussi les patrons de presse ou les chefs d'entreprise anglais issus de classes privilégiées l'apprennent au contact de leurs semblables et le gardent toute leur vie. Que le jeune Cameron ait ou non mis son sexe dans la tête d'un cochon n'a aucune importance. Mais ce type de formation -Eton, Bullingdon Club- est extrêmement révélateur de ses actions politiques concrètes.

Car il faut s'imaginer la scène (on peut se passer des détails) et ne plus regarder que le futur Premier Ministre performant cet acte grotesque mais bien le reste de la salle: ceux qui éclatent d'un rire gras, qui applaudissent à tout rompre, qui chantent des encouragements au jeune héros, qui sont-ils? Des hommes, blancs, riches, en costume soigné, qui seront les députés, les patrons de grands groupes industriels, les magnats de la presse; en gros l'élite dominante qui contrôlera le pays demain -et qui le sait. Qui joue avec des animaux, avec des propriétaires de restaurant, avec des "loosers" qui dorment dans la rue pour mieux asservir ce pouvoir, qui leur est donné de fait, par des actes d'humiliations, pour montrer qui tient vraiment la barque dans le pays. Et pour reprendre les idées de Bourdieu, le schéma se reproduit, et leurs enfants feront de même, et la violence symbolique perdure dans un pays déjà miné par les inégalités.

Le groupe de futurs oligarques se forme, se soude, se construit autour de ces symboles lors des cérémonies d'initiation -ces symboles, faut-il le rappeler, qui jouent sur des affects d'humiliation, d'assertion d'une supériorité de fait. Ces patrons de presse, ce sont les mêmes qui, il y a une semaine, ont fustigé Jeremy Corbyn, le nouveau Leader du Parti Travailliste, parce qu'il n'avait pas chanté l'hymne nationale. Les mêmes qui le déclarent inéligible, parce que pas assez "en phase" avec les "valeurs britanniques". Les mêmes qui se moquent de ses cravates de travers pour ne pas parler de ses engagements divers.

Ce n'est pas sur ses bizarres actes sexuels d'il y a trente ans qu'il faut juger David Cameron. On peut bien s'en moquer allègrement (dans les deux sens du terme). Mais c'est sur sa politique désastreuse de destruction systématique des aides sociales, des services publics, de la couverture maladie, des aides aux handicapés, aux pauvres, aux vulnérables. Sans faire de la psychologie de comptoir, c'est cependant au travers d'une certaine vision de la société que de telles mesures sont justifiées -une vision partagée par une élite qui y a été plongée à un âge où se déploient de formidables forces, sociales et intellectuelles, au regard de son propre avenir, et où elles le font à travers justement des événements aussi anodins que des réunions de clubs, des soirées beuveries, des "exploits" imbéciles. Si l'un n'engage pas l'autre automatiquement, il s'en avère en tous les cas profondément révélateur. Et là-dessus, il n'y a pas de quoi rire.

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