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"Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait?": retour sur le discours de Poutine à l'ONU

INTERNATIONAL - Le président russe Vladimir Poutine s'exprimait pour la première fois depuis dix ans devant l'Assemblée générale de l'ONU le 28 septembre dernier, à un moment paroxystique de la crise syrienne : autant dire que son discours était attendu, et qu'il lui fallait frapper un grand coup. Un grand coup il frappa donc, malgré l'apparente sobriété de la déclaration.

Nous l'avons déjà écrit ici et là, ce qui distingue Poutine de ses homologues occidentaux est sa faculté à exprimer une vision du monde aussi cohérente qu'elle est en résonance avec l'époque (nous reviendrons sur ce dernier point un peu plus loin). "Il y a une densité chez Poutine qui n'existe plus chez les hommes politiques" expliquait récemment Hubert Védrine. Que l'on approuve ou que l'on désapprouve les positions du président russe, il est difficile de lui disputer son intelligence et sa faculté à investir mieux que quiconque le terrain idéologique. Sur le plan intérieur, Poutine est devenu, s'inspirant de grands auteurs russes comme Alexandre Soljenitsyne ou Nicolas Berdiaev, le chantre d'une conception traditionnaliste de la société organisée autour de deux piliers : la famille et la religion. Sur le plan extérieur, et c'est de cela dont il est question ici, la vision de Poutine s'articule autour de deux mots : souveraineté et diversité.

Devant l'Assemblée générale de l'ONU, Poutine a défendu la vision originelle qui a présidé à la création de l'ONU et du droit international moderne. Derrière cette vision, l'idée qu'aucun pays ne peut imposer son modèle ou ses choix aux autres et que chaque pays doit être par conséquent traité équitablement. Autrement dit : une défense de la souveraineté inaliénable des nations qui composent la communauté internationale. "Si l'ONU disparaît", a prévenu Poutine, "cela peut conduire à l'effondrement de l'architecture mondiale et du droit international. C'est la raison du plus fort et l'égoïsme qui vont primer".

En bon stratège, Poutine aime les leitmotiv. La défense de la "diversité du monde" face aux tentations hégémoniques américaines en fait partie. Devant l'ONU, cela a donné : "Nous sommes tous différents, il faut en tenir compte. Personne ne doit adopter un seul modèle de développement reconnu par un seul. Nous devons nous rappeler le passé, l'expérience de l'URSS." L'évocation de l'URSS, par celui-là même qui se voit régulièrement reproché de ne pas condamner suffisamment les crimes du régime soviétique, ne manque pas de piment mais elle a un sens très précis dans le contexte actuel. S'en prenant à l'OTAN, Poutine a mis en garde contre "la manière de penser en bloc" comme au temps de la guerre froide.

Et quelle meilleure application concrète de cette doctrine que la situation actuelle du Moyen-Orient ? Citons à nouveau Poutine :

"Regardons les pays de l'Afrique et du Proche-Orient, bien sûr que les problèmes économiques et sociaux y ont mûri longtemps et que les gens y voulaient des changements. Mais l'intervention extérieure a conduit à la destruction de leurs structures étatiques, les droits de l'homme n'y sont plus respectés. Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ?!, je demande aux responsables de cette situation. [...] Nous voyons des zones d'anarchie apparaître avec l'EI, on y trouve d'anciens combattants d'Irak, de Libye, un pays détruit, nous voyons aussi les membres de ce qu'on appelle l'opposition modérée recevoir une formation et puis passer dans le camp de l'EI."


L'ingérence américaine en Irak, et les conséquences désastreuses qu'elle a entraînées, sont évidemment dans la ligne de mire de Poutine, de même que l'ingérence française en Libye. Le message adressé à l'Occident est limpide: ne répétez pas avec Assad les erreurs que vous avez commises avec Hussein ou Kadhafi. En marge de ce discours, Poutine s'était fait encore plus offensif et direct en déclarant: "J'ai le plus grand respect pour mes homologues américain et français mais ils ne sont pas des ressortissants syriens et ne doivent donc pas être impliqués dans le choix des dirigeants d'un autre pays".

Cette conception ferme de la souveraineté comme fondement essentiel du droit international, Poutine l'a également appliquée, dans son discours, aux questions économiques, évoquant implicitement à la fois les sanctions dont la Russie est victime et le traité TAFTA actuellement négocié par l'UE et les Etats-Unis : "Nous pensions que nous allions agir en toute transparence dans l'économie, y compris selon les règles de l'OMC. Mais les sanctions unilatérales sont devenues la norme et servent à supprimer des concurrents. Des unions se créent sans consulter les habitants des différents pays. Tout se fait en cachette, on nous met devant le fait accompli".

Ce discours n'a en réalité rien d'exceptionnel, les circonstances le fussent-elles. Il s'inscrit dans la continuité de ceux que Poutine tient depuis le début de son second mandat en 2012 et le début de la crise syrienne. Il reflète une vision du monde selon laquelle la souveraineté n'est pas négociable, les ambitions hégémoniques d'un seul pays nuisent à l'équilibre et la diversité du monde et l'ingérence au nom des droits de l'homme aboutit à des désastres politiques et humanitaires. Poutine est, au sens philosophique du terme, un anti-universaliste car il considère que l'équilibre du monde dépend du respect de la culture et de la souveraineté de chaque nation, et qu'il serait absurde de vouloir imposer un modèle à des pays qui ne le partage pas (notons que son attitude à l'égard de la Crimée semble cependant assez contradictoire avec cette position, malgré les traditions historiques profondes qui lient cette région d'Ukraine et la Russie). Au-delà du seul cas syrien, cette vision du monde entre en résonance avec une préoccupation actuelle majeure en Occident : la crainte des peuples, notamment au sein de l'Union européenne, de voir leur souveraineté s'affaiblir et les frontières nationales s'effriter. Les frontières, avait expliqué Régis Debray dans un petit livre ingénieux (Eloge des frontières, Gallimard, 2010), symbolisent tout à la fois la protection (tel l'enclos qui protège le bétail) et l'échange vital (telles les membranes des cellules constitutives de notre corps en lien les unes aux autres). La mondialisation, la crise migratoire, la crise grecque, le traité transatlantique : autant de phénomènes pérennes ou circonstanciels qui ébranlent en profondeur les nations et suscitent, au sein d'une partie des populations européennes, une attitude de raidissement. On ne le dira jamais assez, le génie de Vladimir Poutine est d'avoir compris très tôt ce phénomène et de s'en être emparé, devenant en quelques années le porte-parole de la cause souverainiste et conservatrice en Europe.

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