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La "jungle", ou Noël chez les réfugiés à Calais

La RÉFUGIÉS - 24 décembre. Les invités sont arrivés et vous n'avez pas encore terminé de préparer le repas, vous vous prenez les pieds dans une guirlande, faites tomber le sapin et coincez le chat dessous. À la fête organisée par votre entreprise, vous dansez jusqu'au bout de la nuit et vous levez à une heure de l'après-midi le lendemain, avec l'espoir insensé que l'humanité a enfin inventé un remède miracle contre la gueule de bois. Vous vous réveillez chez vous, ou chez des amis. Dans le premier cas, vous pouvez vous rendormir, bien enfoui-e sous la couette. Dans le deuxième... il faut se lever pour rentrer.

Maintenant, imaginez que vous n'avez pas de chez-vous. Nulle part où rentrer.

J'ai pris l'avion pour Paris, puis le train jusqu'à Calais, pour aller dans le plus grand camp de réfugiés improvisé de toute l'Europe, que l'on surnomme la Jungle.

Des rangées de maisons de fortune occupent tout le champ. Pour les bâtir, tout est bon: polyéthylène, auvents ou pseudo toile de tente, tendus sur des poteaux de bois. Quelques abris sont en contreplaqué, mais la plupart ne sont que des tentes. En quelques minutes à peine, on a déjà les pieds boueux. Il fait horriblement humide et le vent glacial s'insinue sous les vestes et sous la peau.

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Là où vous viviez avant, vous étiez peut-être médecin, ingénieur ou animateur. A présent, vous n'êtes qu'un étranger. Vous n'êtes pas français, ni anglais. Les gens vous jettent des regards en coin et passent leur chemin, la main sur leur sac. Vos voisins, les Français, bâtissent une clôture avec une pancarte "Attention, chien méchant". Un flic vous aveugle avec sa bombe lacrymogène, parce que vous n'êtes pas le bienvenu. Officiellement, ce camp n'existe même pas.

L'avenue principale se sépare en deux et, dans cette ville qui n'en est pas une, il y a tout de même des boutiques de part et d'autre. Elles vendent de la nourriture et du café. Tout fonctionne avec des groupes électrogènes et, tous les 500 mètres environ, une conduite d'eau permet de se laver les mains et les chaussures. Il y a quatre douches pour tout le camp, et la queue est longue devant le point d'accueil où on distribue gratuitement une ration de nourriture par jour.

Ils ont fui la Libye, l'Irak, l'Iran, la Syrie, l'Afghanistan. Plus de dix nationalités sont représentées. Ils ont fui la guerre et les conflits armés, traversant les frontières au péril de leur vie, au fil des mois. Aujourd'hui, dans ce camp qui accueille déjà plus de quatre mille personnes, plusieurs dizaines de réfugiés arrivent chaque semaine, laissant derrière eux le Moyen-Orient et toute leur vie. Devant, le détroit de la Manche, où ils espèrent passer en Angleterre. L'Angleterre. Ce nom est sur toutes les bouches. L'Angleterre, c'est James Bond, Sherlock Holmes, une tour horloge, et la Reine.

Si vous arrivez, de nuit, à vous glisser dans un camion, un train ou un bateau, et à passer sans vous faire repérer par la police, alors vous avez accompli votre mission.

L'appel de Londres est partout. Je vois d'abord les graffitis sous le pont routier, un camp frontalier invisible, des policiers portant gilets pare-balles et bottes montantes, au-dessus desquelles sont accrochées des sacoches. Tous les policiers portent des masques.

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C'est à cause de vous que ce policier blanc porte un masque. Il croit qu'avec toutes vos maladies, vous allez perturber la petite vie tranquille des Européens. Sans avoir posé la moindre question, il a déjà décidé que vous êtes dangereux. Aucune des écoles du coin ne voudra de vos enfants.

Le froid constant fait monter les larmes aux yeux.

Impossible de prendre la photo de quelqu'un. Tout le monde a peur qu'elle ne serve à un avis de recherche.

Calais est une ville conservatrice, qui vote majoritairement Marine Le Pen. Ici, après minuit, pas moyen d'acheter ne serait-ce qu'un briquet. Avant, les habitants travaillaient dans le textile, mais aujourd'hui le taux de chômage compte parmi les plus élevés du pays. L'exode des riverains a commencé quand ils se sont rendu compte que le camp, loin de disparaître, allait probablement s'agrandir.

Tandis que les hommes politiques, indécis, passent des mois à débattre à huis clos de la crise des migrants sans jamais prendre de décision, des bénévoles arrivent de toute l'Europe pour apporter une aide humanitaire, construire maisons et pôles de soins. La première nuit, j'en ai rencontré un. C'était un étudiant de Yale, l'une des plus prestigieuses universités américaines, où peuvent enseigner des lords. Très décontracté dans son imperméable jaune, il m'a raconté comment il avait appris le russe, été à Moscou, et refusé un stage dans une grande banque pour venir passer Noël au camp, à aider les réfugiés.

Le camp est divisé en sections, en fonction des nationalités. Dans la partie afghane, il y a un énorme dôme blanc, un théâtre bâti par deux Anglais prénommés Joe. Il suffit d'y entrer pour se prendre pour un personnage d'un film de Stanley Kubrick. Il y a six mois, quand les deux Joe ont débarqué pour le construire, nombre de leurs amis ont trouvé le pari un peu fou. "On est là pour les aider à se sentir un petit peu plus chez eux", expliquent les deux hommes. "Les réfugiés croient aux valeurs de l'Angleterre, ils ont envie de vivre en sécurité."

"Si les Européens considèrent l'humanisme comme une de leurs valeurs fondamentales, ils ne peuvent pas abandonner les gens qui les appellent à l'aide dans le froid."

Dans tous les cafés afghans du camp, on fait du pain, que l'on mange avec un mélange de légumes et d'œufs accompagné d'une sauce chaude. Un véritable délice. Il y a aussi du riz sauté, des haricots, des épinards, des frites. Le thé au lait est très sucré et très goûteux. On nous le sert sur un plateau quand nous prenons un verre en sortant du théâtre.

Sur la route qui traverse le camp, je me dis que la tragédie vécue par les habitants de cette petite banlieue paraît absurde. Ces gens ont emprunté, payé des intérêts pendant des années pour s'acheter une maison avec vue sur la campagne, en croyant pouvoir tranquillement aller chercher leur courrier tous les matins. Et puis, d'un seul coup, ils se sont retrouvés avec un camp de quatre mille réfugiés venus du Moyen-Orient sous leurs fenêtres. Le soir, toutes les lumières de ces maisons sont éteintes.

"L'espoir nous fait vivre." Devant les lettres peintes avec soin à flanc de coteau, des barbelés surmontent une double clôture de fer. Chacun des enfants qui vivent par centaines dans le camp doit se poser la même question: "Pourquoi est-ce qu'on vit entourés de barbelés?"

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Avec les enfants, nous faisons des dessins. Sur d'immenses feuilles de papier, ils dessinent leur silhouette, et à l'intérieur, ce qu'ils désirent. Le premier, Avrist, a huit ans. Il est irakien. Ici, au camp, il vit dans un mobile home blanc. Avrist parle quatre langues. Les bénévoles le qualifient de petit génie. Dans sa silhouette, il a écrit les mots "guitare" et "professeur". Un petit garçon qui aimerait devenir professeur, mais qu'aucune école ne veut admettre.

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Petit, on vous disait: "Si tu te conduis bien, le Père Noël t'apportera plein de cadeaux, et si tu n'es pas gentil, rien du tout". C'est quoi, bien se conduire? Ne pas sécher l'école, rentrer à l'heure à la maison. Qu'est-ce que vous diriez au Père Noël si vous n'aviez pas le droit de vous inscrire à l'école et si, tous les soirs, vous rentriez dans une tente glacée?

À Noël, on peut rêver d'un miracle... ou essayer d'offrir un miracle à quelqu'un d'autre.

"Pour Avrist, de la part des Pussy Riot et du Théâtre libre de Minsk." J'ai glissé ce mot, écrit sur une feuille de papier blanc, dans un étui à guitare noir. Acheter une guitare à Calais était une aventure en soi. Dans toute la ville, il n'y a qu'un seul magasin de musique, qui ne figure pas sur la carte. Tous les autres, trop peu rentables, ont fermé.

Le mot miracle n'existe pas que dans les livres. C'est aussi votre ticket d'entrée pour le camp des réfugiés. Votre cadeau, deux heures consacrées à écouter l'histoire d'un des réfugiés, juste parce qu'il a envie de la raconter. Un miracle, ça veut dire ne pas tourner le dos aux gens que l'on ne comprend pas.

Mes amis du théâtre décorent le sapin avec les enfants. Avec ses flocons en papier peints à l'aquarelle et ses boules de Noël en origami, l'arbre est magnifique. Ajoutez l'odeur des aiguilles de pin, et voilà: c'est Noël et vous êtes au chaud dans une maison, des photos ou des dessins accrochés au mur.

Notre arbre est installé dans la tente improvisée, pour éviter que le vent ne le renverse. Juste derrière, sur le mur, il y a une photo prise par un des bénévoles. Elle représente une main tenant une cartouche de gaz lacrymogène vide, tirée dans le camp par la police.

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Photos de Nikolai Khalesin et Masha Alekhina.

Ce blog, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.


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