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Vœux pour 2016 : une contre-folie à la place du bonheur

Vœux pour 2016 : une contre-folie à la place du bonheur POLITIQUE - La scène se passe fin décembre 2015 dans un sympathique bistrot du 1er arrondissement de Paris: tu te rends compte, 30% cela veut dire que, dans cette salle, un client sur trois vote FN, remarque consterné mon hôte. Tout à fait, rétorquent nos voisins de table, comme nous par exemple, vous voyez, même pas de croix gammée, juste des démocrates patriotes. La vingtaine habillée branché-chic; le garçon porte un tatouage bobo sur le bras, la fille est resplendissante, ils se tiennent amoureusement la main, pas un soupçon d'agressivité envers nous, ils semblent même amusés par notre incrédulité. Je reste interloqué face à ces deux schtroumpfs-électeurs-FN. Quel est le contraire du "délit de sale gueule": alibi de gentille frimousse?

Les temps sont à la folie généralisée. C'est la banalité du mal qui revient doublée de la normalisation de la folie: dans leur pas de deux mortifère, les extrêmes droites européennes d'un côté, Daech de l'autre, réussissent à "bâtir" patiemment, méthodiquement sur la jeunesse. Il ne s'agit pas d'une thèse farfelue mais d'une simple lecture des statistiques de 'la presse de référence' sur le pourcentage de jeunes français issus de milieux catholiques ou athées parmi ceux qui partent en Syrie, ou sur les étudiants des universités qui votent FN.

On n'a certes plus besoin de lire les professionnels de la profession pour apprendre que, en démocratie, le pouvoir étatique est faible face au pouvoir économique privé. Mais encore, il se porte à merveille comparé au "pouvoir" des intellectuels à ne serait-ce que formuler des propositions: face à la complexité et sophistication des mécanismes économiques contemporains, la parole des intellectuels est 'à côté de la plaque' de manière risible. Là aussi, ce sont Daech et FN qui réussissent à les rendre audibles, le premier en citant dans le texte un philosophe-petit-bourgeois-argenté-qui-déteste-l'argent, le second en adoubant de la bouche même du patriarche, son quasi ministre de la culture Eric Zemmour. Non, je ne confonds absolument pas Daech et FN ! Je ne confonds pas un marteau avec une tenaille.

"Nous", "à gauche" ne sommes pas innocents dans cette folie généralisée, avec nos indignations à géométrie variable comme on peut les découvrir dans un article bien documenté paru déjà en 2002 dans l'Express :

Libération, qui a tant fait pour le combat antisexiste, dresse ainsi un portrait ému d'une "figure de l'islam de France", le président de l'association Les Imams de France, qui explique doctement que "la dominance masculine est un invariant transculturel" qui repose sur "une différence irréductible, le fameux chromosome Y". Et une publicité de la firme laitière Candia sur la crème fraîche Babette ("Je la lie, je la fouette") fut terrassée au terme d'une impressionnante tempête médiatique et militante, avec le renfort de la ministre des Droits des femmes, alors qu'une maison d'édition, sise au cœur du Quartier latin, peut diffuser depuis dix ans un manuel en français de bonne vie musulmane (Le Licite et l'illicite en Islam, éd. Al Qalam) expliquant pourquoi et comment un bon époux doit battre sa femme : "Avec la main", sans "fouet" ni "morceau de bois". Et "en épargnant le visage".


Il n'est pas inutile de préciser que la dernière réimpression de ce "Mein Kampf pour toute la famille" de l'islamisme radical (dont l'Express s'étonnait en 2002 de la vente libre depuis 10 ans déjà), date du 4 avril 2015. Quoi de plus naturel pour un best-seller. On peut se le procurer sur Amazon et une fois l'art de battre sa femme maîtrisé on pourra se perfectionner en suivant quelques conseils pratiques pour tuer les homosexuels :
Est-ce qu'on tue l'actif et le passif, par quels moyens les tuer, est-ce avec un sabre ou le feu ou en les jetant du haut d'un mur, cette sévérité qui semblerait inhumaine n'est qu'un moyen de débarrasser la société islamique de ces êtres nocifs qui conduisent à la perte de l'humanité.


Pendant ce temps, Paris scrute avec la plus grande sévérité l'œuvre littéraire d'un spécialiste et amoureux des Lumières, Philippe Sollers, pour "dénoncer" les extraits jugées misogynes ou homophobes. Pareil avec l'humour sophistiqué et bienveillant d'un Nicolas Bedos : on peut rire, mais avec prudence, toujours. Quand la démocratie perd la tête à ce point, il ne faut pas s'étonner que madame Le Pen trouve la santé.

Alors, "nous", "les autres", que pouvons-nous faire face à cette aliénation galopante ?
Rien, pour commencer ! Rester immobile quand tout bouge frénétiquement vers la folie, constitue un progrès qu'il ne faut pas sous-estimer. Mais il y a aussi "à faire" tels des pompiers désemparés qui décident d'ouvrir un contre-feu, aveu d'une première défaite, tentative ultime. Un écrivain cordialement détesté de tous les Onfray-Daech-FN-Zemmour présents et à venir, a été bien prévoyant en publiant, déjà en 2014, un Manuel du seul art qui, désormais, s'impose : celui de la contre-folie. Du blabla bobo dira Onfray, dopé à la moraline et garant du 'vrai' et de 'l'authentique'. Notre écrivain lui répond :


Le philosophe français, aussi loin de ses glorieux prédécesseurs que la Terre du Soleil, a été le plus souvent déguisé en Allemand, comme s'il était obligé de se traduire lui-même de cette langue. Mais, soudain, le charabia compliqué n'a plus impressionné les couvents. Le philosophe s'est donc mis à faire tout simplement la morale, et à ranimer les bons sentiments. Du succès, oui, mais, de plus en plus, provincial.


Pas nationaliste pour un sou, français jusqu'au bout de la langue, notre écrivain sait trancher les nœuds gordiens :
L'avantage du français c'est sa concision et sa commotion. Il n'est pas fait pour communiquer, mais pour dégager, abréger, juger et tuer.


Décidément je trouve ce monsieur de plus en plus sympathique, bien armé et en pleine actu, allons-y pour découvrir d'urgence ses quelques petites recettes de base :

Inutile d'opposer à la folie la raison, le bon sens, la décence, la compassion, le respect, le souci de l'humanité ou de l'autre. Par définition, même avec des discours "humains", la folie est furieuse.

À l'aide de votre contre-folie, vous lisez dans les pensées des fous qui se croient normaux. Ils se répètent, vous divaguez. Ils insistent, vous changez de sujet.

Vous aimez les enfants dont la contre-folie est évidente. On tente sans arrêt de les rendre fous, mais ils multiplient les incartades, les jeux de mots idiots, les maladies, les chagrins rentables.

La folie a besoin de se renouveler pour se répéter, la contre-folie au contraire est immuable.

La folie n'aime pas l'Histoire et les dictionnaires, c'est à dire tout ce qui pourrait gêner sa monomanie. Vous lui faites le coup des morts, par milliers, ça la fait tourner comme une toupie sur elle-même. Elle a une haine infinie des mots, des noms, des dates, des portraits, avec des arguments parfois péremptoires comme l'ignorance elle-même. Testez, vérifiez. La folie se prend pour Dieu, elle sait tout, elle connaît tout, d'emblée. Elle n'a aucune curiosité sauf sexuelle où malsaine. Les civilisations sont à ses pieds. Pour elle il n'y a qu'une seule vérité, la sienne.

Et plus loin, citant un de ses maîtres, grand virtuose de contre-folie :

Quoi qu'il en soit, la présence médiumnique de Saint-Simon se fait sentir dans bien des formules. Voici, presque au hasard :

"Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes."

Ou:

"Les premiers principes doivent être hors de discussion."

Sans parler de :

"Le génie garantit les facultés du cœur".

Et de :

"Les grandes pensées viennent de la raison."



Pour 2016, souhaitons-nous une contre-folie, les vœux de bonheur devraient nous faire froid dans le dos en ce moment.


Les extraits sont de Philippe Sollers
, Médium, Editions Gallimard

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