[Cannes 2024] Maniérismes et post-cinéma : Alexis Langlois serait-il un De Palma 3.0?

On parlait d’hier de l’usage des jeux vidéo par le cinéma. Parfois leur protocole organise la dramaturgie et la scénographie d’un film – Furiosa. Parfois leur matière prend le relais de l’image cinématographique le temps de quelques séquences (dans Les Fantômes en début de festival, dans Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel – présenté la semaine prochaine à la Quinzaine des cinéastes et dans lequel un jeu vidéo ouvre sur un monde où s’exaucent utopies et désirs.

Ce sont d’autres types d’images, postérieures au cinéma, postérieures même au jeu vidéo, qu’agrège Les Reines du drame, le premier long métrage d’Alexis Langlois : des vidéos youtubes, des mèmes, des blogs vidéo d’influenceur·ses, des clips de stars de téléréalité… L’usage de cette imagerie née avec le XXIe siècle n’a rien d’inédit en soi, beaucoup de films depuis les années 2000 ont intégré et commenté leur développement.

Mais c’est peut-être la première fois qu’un cinéaste s’empare de ces images avec une fougue fétichisante, une passion du pastiche, une mélancolie liée à la recréation d’images qui nous ont traversé·es, comparable, en intensité de sentiment, à celle qu’ont exercée les grands cinéastes maniéristes sur l’histoire du cinéma. Alexis Langlois rejoue des clips de Priscilla ou Lorie, telle vidéo d’un fan éploré de Britney Spears demandant qu’on la “leave alone”, telle image de la même Britney se rasant la tête, ou encore l’apparition twerkée de Miley Cyrus dans un show MTV, avec un même engagement libidinal une même force d’empreinte que De Palma réorchestrant durant toute une vie deux ou trois motifs hitchcockiens dont il ne s’est jamais remis.

Un peu à la Ophüls. Pas mal à la De Palma

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si De Palma est partout dans Les Reines du drame :dans l’usage du split-screen, dans la vision dantesque de personnages féminins aspergées de sang (Carrie), dans une atmosphère générale de tragédie bouffonne catapultée au cœur de l’industrie musicale (Phantom of the Paradise). Si la matière diverge (et substitue au cinéma classique la culture populaire de la génération Y), le geste est vraiment proche. Il s’agit encore de distordre à l’envi et dans ses retranchements les plus baroques les images qui nous hantent.
Il y a quelque chose de vraiment très beau dans la façon qu’a le film d’inventer de nouveaux territoires à la nostalgie. Jamais au cinéma les années 2000 (l’action débute en 2005) reconstituées de façon à la fois fantaisiste et maniaque, avec ses comptes myspace, ses mini-téléviseurs avec magnétoscopes intégrés, ses collections de CD, l’éclosion des réseaux sociaux ne nous avait paru un tel monde englouti.
Dans ses plans biseautés comme la surface de pierres précieuses, dans laquelle les images se disséminent et se reflètent, le film enserre une mélancolie chimiquement pure. Un peu à la Ophüls. Pas mal à la De Palma. Mais dans une version 3.0. En tout cas, un cinéaste est né. 

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