“Hors du temps” : Olivier Assayas livre une comédie teintée de mélancolie

Deux frères sont confinés à la campagne avec leurs névroses et leurs conjointes, et se dessinent les joies de la promiscuité forcée… Toute ressemblance avec la vie du cinéaste n’est peut-être pas tout à fait fortuite.

Le nouveau film d’Olivier Assayas est généreusement proustien. Temps retrouvé de l’enfance, temps mort d’une époque déjà historique, lorsqu’au printemps 2020 l’épidémie de Covid nous assigna à résidence. Dans le rôle du narrateur : Olivier Assayas lui-même, qui n’est tangible que par cette voix off dont on n’est pas certain·e qu’elle soit la sienne, même si elle nous est familière – une voix de basse, un murmure fantomatique. Qui, comme d’outre-hantise, se souvient. D’une maison familiale dans une petite ville de l’Essonne, où Assayas vécut une partie de son enfance et qui lui servit de refuge lors de “l’exode” de 2020. L’intimité de ces souvenirs à double détente, le passé percutant le présent, fusionnent dans le creuset d’une mise en fiction qui transforme l’introspection en extrospection et la rend partageable.

Une bande des quatre qui tue le temps

Des personnages surgissent : Paul, cinéaste, Étienne, son frère, animateur d’une émission de radio sur le rock, Morgane et Carole, leurs compagnes respectives. Une intrigue se dessine, domestiquée par les impératifs de la promiscuité forcée. Un ménage à quatre prosaïque où il s’agit surtout de faire le ménage, de s’accoutumer aux protocoles sanitaires, de s’hygiéniser à tour de bras au rythme d’une intense parano.

Deux hommes, deux femmes, dans des jardins radieux dont le film rappelle qu’au temps du premier confinement ils furent florissants tandis que le virus, telle une grimace du réel, propageait maladie et mort. Cette bande des quatre s’affaire, se chicore, cuisine, dîne dans le jardin, joue au tennis, regarde des films, tente littéralement de tuer le temps.

N’était que le temps, même subclaquant, est coriace et donne à leurs distractions un parfum de vanité qui ne tient pas seulement à leur privilège de classe. À tout instant la belle saison menace de virer à l’enfer. Entre Partie de campagne et La Règle du jeu, Jean Renoir est en embuscade, explicitement cité dans une archive sonore où il parle des derniers jours de son Auguste père.

Mais par ricochet, on songe surtout à une union à priori contre-nature. Des hommes qui parlent beaucoup, des femmes qui le plus souvent les écoutent dans un quant-à-soi amusé. Du Rohmer pur jus mais chahuté et déniaisé par une tornade de Sacha Guitry.

La mélancolie rôde

Dialogues élégants, parfois au bord de l’alexandrin, qui par contraste rendent d’autant plus hilarantes les scènes de ménage, notamment dans la cuisine où s’électrisent toutes les tensions : le drame d’une compote qui crame, la tragédie d’une casserole qui attache, le problème épineux du recyclage.

Sans parler de l’obsession de l’un pour les crêpes, de l’autre qui s’inquiète qu’Amazon tarde à lui livrer des Cracotte sans gluten ou de ce dernier qui déclare qu’il n’est pas psychologiquement prêt pour aller à la boulangerie. La belle comédie fait florès, emportée par des comédien·nes de haut vol : Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine D’Urso (en photo).

Mais la mélancolie rôde. Un des plus beaux instants du film tient à un mouvement de caméra (image d’Éric Gautier) délaissant le babil des humain·es pour s’enfuir dans la ramure des arbres qui, comme les nuages, plan ultime du récit, nous survivront, hors du temps.

Hors du temps d’Olivier Assayas, avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine D’Urso (Fr., 2024, 1 h 45). En salle le 19 juin.

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