Œil pour œil, dent pour dent, ou quand la vengeance règne au cinéma

Les héros et héroïnes de cinéma n’ont plus que la vengeance en tête. Qu’est-ce que cela peut bien dire de nous ?

Ce n’est pas de la vengeance, c’est de la justice”, dit le comte de Monte Cristo, en tout cas dans la version d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, qui sort ce vendredi – on a cherché, on n’a pas retrouvé trace de la citation dans le livre de Dumas. Évidemment, Dantès se leurre : son dessein, c’est bien la vengeance.

Vu ce qu’il a enduré, on ne saurait la lui refuser. Or, dernièrement, tout le monde n’a que cela en tête. La surenchère vengeresse décime les gangs de motard·es de The Bikeriders, en salles aujourd’hui. Furiosa, dans le film homonyme de George Miller, consacre sa vie à une idée fixe : venger sa mère assassinée par le warlord Dementus. Les Fantômes, qui sort la semaine prochaine, suit Hamid, rescapé de la guerre en Syrie, traquant ses anciens bourreaux clandestinement établis en Europe de l’Ouest. Love Lies Bleeding voit Kristen Stewart et Katy O’Brian s’engager dans une spirale de représailles meurtrières sur leurs agresseurs passés.

Dans Horizon, en salles la semaine prochaine, Kevin Costner prend sous son aile une femme traquée par une fratrie de gangsters cherchant à venger leur père. Enfin, L’Amour ouf, probable grand succès français de l’automne, décrit une spirale d’une troublante parenté avec Monte Cristo (longue peine de prison, amour de jeunesse empêché), héritant d’un vieux schéma maintes fois vu, du Parrain à West Side Story : la dimension réflexe, infiniment reconduite et mortifère, de la vengeance, qui s’auto-engendre jusqu’à la destruction de toutes ses parties prenantes, et dont le héros ou l’héroïne doit casser le cycle de mort de la seule manière possible, c’est-à-dire en renonçant à punir.

Symptôme d’une société démantelée

Le thème est vieux comme le monde, du moins comme Hamlet. On peut quand même s’interroger sur ce que signifie une si soudaine surabondance. Difficile de ne pas en faire le symptôme d’une société démantelée, en faillite de justice, abandonnée à un individualisme affranchi des lois, et dépassée par son extrême conflictualisation. Sans tissu social, sans règle commune, il n’y a plus d’autre modalité de réparation des torts que la loi du talion. Des déserts post-apocalyptiques à la jungle des salons mondains, tous les films cités plus haut se déroulent dans des univers sauvages, où l’état de droit est soit inexistant, soit vicié de l’intérieur. Le vengeance est le langage du monde corrompu où nous vivons désormais, lui aussi traversé de pulsions vengeresses, de revenge porn et de guerres de riposte.

Il faudrait sans doute s’en émouvoir, embrasser une sorte de pardon chrétien, abdiquer de nos désirs de châtiment – aller “au-delà de la vengeance”, comme le suggère l’ultime carton-chapitre de Furiosa. Mais on ne saurait se contenter de ce vœu pieux sans regarder les racines de la violence. Retirer à nos homologues de fiction leurs saines raisons de s’entretuer revient à ignorer ce qui, ici-bas, en fait naître le désir. Si des dettes de sang sont réclamées à nos imaginaires, c’est qu’elles sont contractées dans le monde tangible. Ce n’est pas de la vengeance : c’est de l’injustice. 

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 26 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

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