Avec “Le Club des enfants perdus”, Rebecca Lighieri signe un nouveau roman bouleversant
Il y a onze ans, quand Emmanuelle Bayamack-Tam avait publié pour la première fois sous le pseudo de Rebecca Lighieri, son roman Husbands (P.O.L, 2013) jouait avec les codes du polar. Elle s’est d’ailleurs expliquée sur ce changement d’identité qui lui permettait d’aborder plus librement un nouveau genre littéraire. L’autrice virtuose, lauréate du Médicis avec La Treizième heure (P.O.L, 2022), a depuis alterné allègrement les signatures, utilisant le nom de Lighieri pour signer des thrillers violents, tel Il est des hommes qui se perdront toujours en 2020. Aujourd’hui, ce nouvel opus constitue une étape dans l’œuvre d’une romancière décidément inclassable, la phrase de Lighieri rejoignant celle de Bayamack-Tam : les références littéraires abondent et structurent un texte qui prend une ampleur nouvelle.
Deux voix se répondent au fil de ce roman poignant, celles d’un père et de sa fille. Armand et sa femme Birke sont de célèbres comédien·nes et forment un couple people très envié. Mais Miranda, leur enfant désormais jeune adulte, est aux yeux d’Armand un mystère, car un mal-être insondable l’étreint depuis petite et semble l’empêcher de vivre pleinement.
Famille dysfonctionnelle, questionnements sur le genre et la sexualité, parents maltraitants : dans ce dialogue de sourds entre père et fille, plusieurs sujets déjà abordés par la romancière apparaissent, de manière toujours plus noire. On retrouve aussi sa capacité à travailler la fiction en donnant naissance à des personnages foncièrement attachants. Des gouffres d’incommunicabilité se sont creusés entre Armand, Birke et Miranda, qui tous·tes dévoileront leur part de malheurs enfouis. Lighieri sait porter autant d’attention à chacun·e et réussit particulièrement son portrait de Birke, très belle femme et actrice adulée qui peine à continuer à travailler en raison de son âge.
Peu à peu, les trahisons, les amours et les secrets inavoués révèlent des facettes inattendues de chaque personnage. Mais d’étranges phénomènes se produisent, dont on ne comprend le sens qu’après coup, et une dose de paranormal s’insinue dans les pages, conférant une tonalité inédite à l’ensemble du roman. Comme c’est le cas de plus en plus souvent chez l’autrice, on peut aussi en avoir une lecture purement politique. Car Lighieri met des mots sur le désespoir d’une jeunesse d’aujourd’hui, angoissée par la marche d’un monde sans pitié.
On peut analyser sans fin la richesse de l’écriture de Bayamack-Tam/Lighieri, il n’en reste pas moins que son roman est avant tout remarquable par sa beauté mélancolique. On se demande d’ailleurs d’où vient une telle noirceur, qui conduit cette autrice discrète à dépeindre inlassablement des destins sacrifiés, des protagonistes écrasés par une étrange fatalité. Miranda est une héroïne de tragédie, et il faut aller loin dans la lecture pour soudain comprendre qui sont les enfants perdus du titre. On ne vous dira pas la fin, inoubliable, à laquelle on pense encore des semaines après avoir refermé le livre.
Le Club des enfants perdus de Rebecca Lighieri (P.O.L), 528 p., 22 €. En librairie le 22 août.