Bertrand Bonello raconte Nick Cave : “C’est un prêcheur dans son désert”

“Hi. I’m Nick Cave and this is the Bad Seeds.”

Neuf fois sur dix, Nick Cave attaque ses concerts par ces quelques mots. J’ai vu le groupe dix-huit fois sur scène et les rares fois où il ne l’a pas fait, le concert était moins bon.

The Bad Seeds… Peut-être le meilleur groupe du monde, avec The Clash.

1990-2003 : Blixa Bargeld, Martyn Casey, Mick Harvey, Thomas Wydler, Conway Savage… Période intouchable. De São Paulo à Londres. Les années Berlin sont derrière. Une forme d’apaisement et l’invention d’un genre : le crooner punk. Les violons se posent sur le groupe underground, toujours sous tension. The Good Son, chef-d’œuvre absolu, sur disque comme sur scène, invente le mariage musical le plus improbable, et Nick Cave renaît de ses cendres. La renaissance… combat perpétuel.

Quelques années plus tôt, dans un Berlin encore emmuré, il enchaîne quatre albums intenses, théâtraux, sombres… entre Johnny Cash et Brecht/Weill sous héroïne. S’il y a bien une chanson que Nick Cave joue à chacun de ses concerts, que ce soit en version acoustique ou électrique, mais surtout électrisante, c’est The Mercy Seat.

“And the mercy seat is waiting/And I think my head is burning/And in a way I’m yearning/To be done with all this measuring of proof./An eye for an eye/And a tooth for a tooth/And anyway I told the truth/And I’m not afraid to die.”

Nick Cave n’a pas peur de la mort, mais la mort est partout autour de lui. Tout d’abord dans ses chansons, où elle côtoie constamment l’amour et la foi. La Bible dans une main, la drogue dans l’autre, Cave est obsédé par le péché, la rédemption et la foi. Par l’amour et la destruction. Par la lutte entre la lumière et les ténèbres.

Consacrer un album entier, et non des moindres, à des histoires de meurtres montre à quel point la pulsion de mort l’obsède. Y compris dans l’amour. Tout est dit dans le duo avec Kylie Minogue. Oscar Wilde se substitue à William Faulkner le temps d’une chanson qui raconte que la beauté ne peut durer. Et que s’il y a une chance pour qu’elle perdure, alors il faut la tuer. “All beauty must die.”

Nick Cave n’a pas peur de la mort, mais la mort est partout autour de lui. Anita Lane est décédée, tout comme Rowland S. Howard, Tracy Pew, Roland Wolf, Conway Savage, musiciens des Bad Seeds. Son fils Arthur meurt en 2015. “With my voice, I am calling you” (Jesus Alone, 2016). Son fils Jethro meurt en 2022. La mort est son terrain.

En 1989, avant de quitter Berlin, Nick Cave écrit un roman, Et l’âne vit l’ange. Il l’écrit comme on écrit une chanson de 500 pages. Mais de toute manière, même si beaucoup de ses morceaux racontent une histoire – Cave, comme Dylan, est avant tout un storyteller –, elles n’ont quelque part ni début ni fin. Comme Dylan, ce sont des litanies qui pourraient avoir des couplets infinis. Ce sont des prières que l’on interrompt uniquement pour changer de prière.

Dans la Bible, l’ânesse de Balaam voit un ange de l’Éternel se tenant sur la route avec une épée dégainée et, malgré les coups de Balaam, l’animal refuse d’avancer. L’ânesse parle pour exprimer sa vision et son effroi. Comme cette ânesse, Cave fonctionne par visions prophétiques. C’est un prêcheur dans son désert entouré de ses mauvaises graines. Dans ce désert, parfois lui aussi voit l’ange. Et c’est cette vision que, chanson après chanson, il nous transmet, il nous raconte, de manière toujours identique et pourtant à chaque fois un peu différente.

Nick Cave conclut son album Murder Ballads (1996) par une reprise de Bob Dylan. Forcément Bob Dylan. Le prêcheur reprend le prophète. “Not the end. Not the end./Just remember that death is not the end.”

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