On a classé toutes les adaptations cinématographiques de J. R. R. Tolkien
Adapter Tolkien : l’auteur lui-même croyait l’affaire injouable. Peter Jackson en a fait celle de sa vie, avec le succès que l’on sait et les déroutes que l’on préfèrerait oublier. Deux trilogies tirées des livres publiés du vivant de Tolkien : une première du Seigneur des anneaux, massivement célébrée, et une seconde du Hobbit, presque inversement décriée, malgré quelques poches de fans jusqu’au-boutistes. Sans oublier un septième film (d’animation), réalisé par Ralph Bakshi en 1978, qui ne mérite pas forcément le rebut où on l’a abandonné…
7. Le Hobbit : La Désolation de Smaug (2013)
Avec environ un tiers du nombre de pages du Seigneur des anneaux, et un registre qui est moins adulte, Le Hobbit pouvait difficilement souffrir le gonflage en trois films de (grande) durée calqués sur la première trilogie sans apparaître très artificiellement étiré, ni s’exposer à un ennui fatal. Le problème se pose cruellement dans ce deuxième épisode intercalaire, sans véritable début ni fin, agrémenté d’une intrigue amoureuse inter-espèces qui fait l’effet d’une parodie de la romance d’Aragorn et Arwen. Seul vague attrait : le face-à-face de Bilbo et du dragon, scène de conte horrifique suspendue dans le film, cache-cache cérébral aux jeux d’échelles hors normes, astucieusement interprété par le duo d’acteurs jouant au même moment Sherlock et Watson sur la BBC (Martin Freeman et Benedict Cumberbatch).
6. Le Hobbit : Un voyage inattendu (2012)
Quand Jackson décide de revenir en Terre du Milieu, en dépit de toutes ses tentatives de confier la réalisation de ce nouveau film à d’autres signatures (Sam Raimi, Guillermo del Toro), c’est avec la promesse d’une nouvelle dimension de représentation, pour ne pas dire une révolution technique : le film prend acte des avancées considérables de la motion capture et des effets spéciaux numériques, et sort dans un format original de 48 images par seconde (ou High Frame Rate, HFR). Le résultat est d’une hyperfluidité troublante évoquant la cinématique de jeu vidéo, mais aussi d’une texture très lisse, loin de la matérialité du Seigneur des anneaux. Surtout, le film cache mal sa répétition : reprenant les points de structure et à peu près la trajectoire géographique de La Communauté de l’anneau, le premier volet pose cette nouvelle trilogie sur les rails d’une familiarité exacerbée et du fan service.
5. Le Seigneur des anneaux (1978)
Cette unique tentative d’adaptation antérieure, prévue en deux épisodes, est finalement restée inachevée du fait de l’insuccès critique (mais pas commercial) du premier. Le cinéaste d’animation Ralph Bakshi (Fritz le chat) couvre le premier et la moitié du deuxième volet, dans une grande fidélité aux livres, avec une assez belle atmosphère de fantasy glauque et inquiétante, bien que gâchée par quelques designs de personnages franchement malheureux (Gollum, Saroumane). Un projet ambitieux, empreint de beaucoup de maturité artistique, signé d’un authentique tolkienien obsessionnel (contrairement à John Boorman, qui venait d’abandonner son projet d’adaptation en un seul film de la trilogie), et qui aurait mérité d’aller au bout de son exécution.
4. Le Hobbit : La Bataille des cinq armées (2014)
Un finish qui sauve quelque peu la mise pour la trilogie du Hobbit, propulsée dans un théâtre radicalement guerrier occupant l’intégralité du métrage (soit 2h24…). Une bataille gigantesque, opposant en temps réel un amoncellement d’armées inter-espèces survolées par un dragon géant : c’est un pari assez osé que relève le film, quelque part entre le jeu de stratégie, le blockbuster conceptuel et la salade composée. On en sort lessivé, quelque peu heurté par certaines agressions oculaires tout de même brutales (les nains à dos de sanglier), mais agréablement surpris par le réveil inespéré de ce qui ressemble (enfin) un tout petit peu moins à une opération commerciale bassement cynique, et un peu plus à un projet de grand spectacle expérimental.
3. Le Seigneur des anneaux : Les Deux Tours (2002)
Ah, la malédiction des deuxièmes épisodes ! Jamais facile d’occuper cette place, même si Jackson parvient ici à faire oublier sa position intercalaire, à s’accorder une existence propre, évidemment bien aidé par le livre pensé en grande partie comme une intrigue indépendante sur les guerres du Rohan et de Saroumane. La dispersion de la Communauté enclenche un principe de film choral s’étendant, en montage alterné, entre une bataille qui place très haut la barre de l’épique (le gouffre de Helm et son enfer diluvien), une trame plus féerique et quelque peu comique avec la balade de Merry et Pippin chez de vénérables arbres parlants, et une aventure lugubre et morbide menée par Frodon et Sam accompagnés de Gollum. Un film bancal, tout de même délicat à regarder en dehors d’un marathon trilogique, mais impeccablement troussé.
2. Le Seigneur des anneaux : Le Retour du roi (2003)
Beaucoup le mettraient logiquement en premier, en reconnaissance de son extrême ferveur épique, de ses grandes batailles tragiques, de sa monumentalité tramée d’enjeux de fin des temps et de révélations majeures. Il est vrai que Le Retour du roi, détenteur du record du nombre d’Oscars gagnés (11, ex-æquo avec Titanic et Ben Hur), est lui-même un film fait pour régner, un souverain de guerre et de gala tout à la fois, auquel on pardonne sans hésiter ses proverbiales 78 fins – voire on le remercie de refuser d’arrêter le plaisir. Un jalon de pop culture qui ne rivalise sans doute qu’avec L’Empire contre-attaque et la saga Harry Potter dans l’empreinte qu’il a laissée à nos imaginaires collectifs.
1. Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l’anneau (2001)
N’en déplaise aux amateur·rices de batailles fabuleuses, de volcans en éruption et de grands discours guerriers, l’œuvre de Tolkien restera toujours en son cœur une affaire de magie, de voyage et de langues – sans doute plus qu’un amoncellement de guerres et de charniers, même si elle n’est pas en reste à ce rayon non plus. La Communauté est le plus doux, le plus bucolique, le plus “Hobbit” des trois volets ; celui aussi du paradis perdu de l’enfance, et du récit d’apprentissage, jeté à la découverte d’un vaste monde peuplé de monstres et de légendes. L’inventivité du grand artisan mélièssien qu’est Jackson y plus déterminante que les moyens pharaoniques de New Line, et le résultat évoque plus le rêve que l’épopée. Un conte au panthéon du grand spectacle fantasy.