“Les hommes manquent de courage” de Mathieu Palain, un chant d’émancipation féministe

Dans l’avertissement qui précède son récit, Mathieu Palain nous donne la règle de son jeu littéraire. Suite au succès de son précédent roman (Ne t’arrête pas de courir, 2021), qui retraçait le destin duplice de Toumany Coulibaly, sprinter médaillé le jour et cambrioleur la nuit, il est abordé un jour de pluie par une femme “emmitouflée dans une fausse fourrure” qui estime, suite à un contact sur Facebook, que son histoire pourrait l’intéresser. Le réflexe humain de l’écrivain est de fuir la confidence : “Je me demandais où j’allais.” N’était qu’au fil du temps, rythmé par des rencontres hebdomadaires pendant un an, la personne devient un personnage, narratrice d’un destin à la fois banal et extraordinaire, dont l’auteur confie qu’il aurait été incapable de l’inventer.

Un·e lecteur·rice ainsi averti·e en vaut au moins deux. Soit donc une incertaine Jessie (le prénom a été modifié), banale en effet dans la description de son métier (professeure de maths), de sa vie de famille (un mari, quelques amants), de son rôle de mère d’un ado de 15 ans, Marco, archétypique d’un jeune homme d’aujourd’hui : rebelle sans cause, gentiment contestataire des “valeurs” de sa maman, paumé en somme.

Nettement moins ordinaire, la vie gigogne de Jessie, qui s’adonne en secret au métier de prostituée vaguement de luxe, pas seulement pour l’argent, mais pour le plaisir aussi. Elle dit : “Les secrets sont des tumeurs. S’ils ne sont pas traités, ils grossissent, jusqu’à devenir incontrôlables.” La thérapie de Jessie consiste à se casser en voiture avec son fils qu’elle a récupéré dans une fête.

Comme dans le film de Nicholas Ray (Les Amants de la nuit, 1947), c’est un couple qui fuit la nuit, se détruisant autant qu’il se construit au gré de dialogues implacables et cruels. “Tu es une pute”, dit le fils. “Se prostituer, répond la mère, c’est avancer sur un fil entre deux gratte-ciels en fermant les yeux, et se dire à chaque pas, ça va, il ne m’est encore rien arrivé.” C’est Jessie qui parle, c’est Mathieu Palain qui l’écrit, comme marabouté par ce portrait d’une affranchie qui souffre de ses affranchissements (“le passé qui ne passe pas”) et devient, ô merveille d’une transfiguration hyperréaliste, féminin et vivement féministe. Maris, amants, maquereaux ou pères, la plupart des hommes en effet manquent de courage, mais pas certaines femmes, même quand un fils rechigne à se laisser aimer par sa mère.

Chant d’amour et de transmission sans doute impossible, la fictionnelle Jessie espérait que ce livre qui la traduit puisse expliquer à ses proches : “Voilà, si tu veux savoir d’où je viens, tu n’as qu’à lire ça.” Une fois lu “ça”, le cercle des proches s’élargit et devient le nôtre, familier et inquiétant, bouleversant et encourageant, hors normes et hors la loi.

Les hommes manquent de courage de Mathieu Palain (L’Iconoclaste), 290 p., 20,90 . En librairie le 22 août. 

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