“La Sirène à barbe” : un film de drag trop poli qui peine à briller

Dans la ville de Dieppe, les drag queens du cabaret de La Sirène à barbe brillent. C’est en tout cas l’impression qu’elles donnent sur scène, où des dizaines de spectateur·rices viennent les applaudir chaque soir. Parmi lesquel·les Erwan, jeune pêcheur néophyte du monde de la nuit qui va faire l’impossible : passer outre le rideau des coulisses et découvrir les individus qui composent cette troupe fougueuse mais abîmée.

À bien des égards, La Sirène à barbe fait écho aux Trois nuits par semaine, de Florent Gouëlou : deux films de concernés (Nicolas Bellenchombre dirige lui-même le cabaret éponyme, où il performe aussi depuis plusieurs années), aux bonnes intentions évidentes et qui cherchent à voir “derrière les costumes des personnages de scène”.

Un kaléidoscope exhaustif des existences queers

Mais à l’instar du film de Florent Gouëlou, celui de Bellenchombre et Delamotte se montre trop sage et sans aspérités. Comme s’ils avaient voulu créer une sorte d’espace sécurisant, un film aux atours de safe place où l’inoffensif demeure et où l’inconséquent fait loi. D’autant plus dommage que le duo de cinéaste ne manque pas d’aligner quelques motifs d’un cinéma gay bien référencé, allant du rose pastel et des marins de Jacques Demy aux dérobées sexuelles en bord de port de Fassbinder, sans pour autant réussir à se montrer à la hauteur de ces citations.

Le film tente ainsi de répondre à plusieurs considérations relativement légitimes : d’abord conjurer les récits parisiano-centrés en offrant un kaléidoscope exhaustif des existences queers, à la manière de ce qu’avait proposé Gaël Lépingle avec Les Garçons de province en 2022, puis donner corps à ces histoires remplies de solitude sans les alourdir d’un ton trop dramatique.

À ce titre, Nicolas Bellenchombre et Arthur Delamotte teintent leur film d’un prosaïsme certain, mais le trahissent ici et là. Dans les scènes de performance notamment, où les danses et numéros semblent être recouverts d’un voile de glace qui gommerait toutes les imperfections qui risqueraient de rendre leurs interprètes plus vulnérables qu’il·elles ne le sont déjà.

Les drag queens, avec leurs joies et leurs peines

Elles sont loin les envolées humoristiques et enragées que Priscilla, folle du désert ou encore Hedwig and the Angry Inch donnaient à voir il y a plus de 20 ans. Aujourd’hui, au cinéma, les drag queens doivent impérativement être vues comme des artistes complètes, et être respectées comme telles. Plus le droit ni à l’erreur ni à l’approximatif donc, encore moins à ce chaos si jubilatoire qui fait son ADN, mais place à la beauté et à l’envoûtement.

À ce petit jeu, le film perd bien plus qu’il ne gagne : les queens de La Sirène à barbe, aussi parfaites soient-elles, et celleux qui se cachent derrière, peinent à s’affranchir de ces standards auxquels ils et elles sont tenu·es. Des personnes à part entière, avec leurs joies et leurs peines, oui. Mais des personnages de cinéma, jamais.

La Sirène à barbe de Nicolas Bellenchombre et Arthur Delamotte, avec Maxime Sartori, Fabrice Morio, Alonso Ojeda. En salle le 2 octobre.

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