“On est le mauvais garçon qu’on peut” chez P.O.L : Nicolas Fargues dans le quotidien de la prison de la Santé

Journal de prison. On croyait ce genre claquemuré par la figure tutélaire et intimidante de Jean Genet. Nicolas Fargues ne prétend à aucune concurrence, mais plutôt à une concordance avec le temps présent. L’auteur n’a jamais fait de prison, mais par un concours de circonstances, il s’est retrouvé muni d’un passe-muraille. Pendant sept mois, il a animé un atelier d’écriture au centre pénitentiaire de Paris-La Santé.

Pendant sept mois, il a dirigé un atelier d’écriture à la maison d’arrêt de la Santé. Une période pas si longue, durant laquelle il a suggéré des thèmes aux prisonniers qu’il côtoyait (“Décrivez votre codétenu”, Faites votre autoportrait”), les a encouragés, guidés. Une période plus longue fut celle de la réflexion, des doutes, des peurs, mais aussi des rires, où, “bon qu’à ça”, comme disait Samuel Beckett, il prenait des notes sur cette expérience rare. Des notes rédigées dans un style sobre, toujours en porte-à-faux (donc en porte-à-vrai) entre l’intérieur confiné de la prison et l’extérieur vaste d’une liberté inconsciente : bouger, faire du vélo, manger une pâtisserie. Ces notes sont des observations sur le quotidien carcéral, les habitudes, les routines, les trafics en tout genre (nourriture, drogues, téléphones portables), les frontières poreuses entre les détenus et les gardiens (à la Santé, on ne dit jamais “taulards” et “matons”), la violence qui rôde, et la masculinité forcée, où pointent à la fois un relent d’homosexualité et l’émergence d’une fraternité certaine.

Un travail de Nicolas Fargues sur lui-même

Beaucoup d’idées reçues s’effondrent sur “ces loups urbains qui en prison n’ont plus besoin de se faire passer pour autres qu’eux-mêmes”. Et lorsque à l’écrit, ils sont un peu plus qu’eux-mêmes, leur poésie fuse : “Mon sang coule sans permission”. “Je suis maigre car c’est ma tête qui avale tout”. Ces notes dites de travail sont aussi un travail de Nicolas Fargues sur lui-même : qu’est-ce que je fais là ? Ma stature d’écrivain est-elle une statue, une supériorité ? Des questions légitimes qui lui permettent de trouver une distance vitale pour se protéger et amadouer la terreur qui parfois le submerge, notamment quand il découvre qu’un de ses “écrivants”, tout de gentillesse, est un tueur dangereux : “Je ne me remets pas d’avoir perçu la part humaine d’un monstre avant d’apprendre que c’en était un.

Ce récit est le journal d’un voleur, de vies, de faits et gestes, de corps, de confidences. Sur le tard de son livre, Nicolas Fragues, perclus de fière modestie, confie : “Écrire est un passe-droit irréductible, quelles qu’en soient les conséquences (…) La littérature est un mauvais garçon.

On est le mauvais garçon qu’on peut (P.O.L),144 pages, 16 €

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