Fin des clauses de non-concurrence aux Etats-Unis : une aubaine pour les start-up américaines

Fin des clauses de non-concurrence aux Etats-Unis : une aubaine pour les start-up américaines

C’est l’une de ces décisions qui passent inaperçues du commun des mortels mais peuvent faire basculer la trajectoire d’un pays et orner les livres d’histoire des décennies plus tard. Par un vote serré à 3 voix contre 2 fin avril, la Federal Trade Commission (FTC), l’autorité de la concurrence américaine, a interdit les clauses de non-concurrence sur le sol américain et supprimé celles existantes. Le couronnement d’une procédure engagée en janvier 2023 par la controversée présidente de la FTC, Lina Khan. Cette professeure de droit avait été nommée à ce poste d’une importance capitale à l’âge de 32 ans, et avait souffert de quelques combats perdus face aux géants de la tech.

L’idée que les clauses de non-concurrence sont néfastes à l’économie et contribuent à renforcer les acteurs dominants a fait l’objet de débats acharnés entre économistes. La modélisation de la FTC est catégorique. Leur suppression accélérera la création de nouvelles entreprises et devrait faire éclore 8 500 start-up supplémentaires chaque année. Le revenu du salarié moyen augmenterait de 524 dollars par an. L’étude annonce même une baisse des coûts des soins de santé, jusqu’à 194 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Un point mis en avant afin de rappeler que la politique de la concurrence bénéficie d’abord à l’Américain moyen.

Concrètement, ces clauses obligent souvent les travailleurs à conserver un emploi qu’ils souhaitent quitter ou à passer à un secteur moins bien rémunéré, voire à déménager. On estime que 30 millions de travailleurs, soit près de 1 Américain sur 5, sont soumis à une clause de non-concurrence. Point surprenant : elles sont même généralisées dans des activités comme la restauration rapide où 1,4 million de travailleurs y sont astreints.

C’est dans l’univers de la technologie que leur usage était le plus contesté. Leur suppression devrait renforcer la place dominante des Etats-Unis en matière d’innovation. La FTC estime ainsi que cette mesure conduira au dépôt de 17 000 à 29 000 brevets supplémentaires chaque année. Beaucoup estiment d’ailleurs que si la Silicon Valley est le leader technologique qu’elle est aujourd’hui, c’est en partie lié au fait que les juges californiens ont, de longue date, été hostiles à ce type de clauses.

Le secret de la Silicon Valley

Dans les années 1970, le cœur technologique des Etats-Unis battait en effet dans la région de Boston, avec des sociétés informatiques telles que Digital Equipment Corporation ou Prime Computer, qui inventèrent les mini-ordinateurs – des appareils de la taille d’une machine à laver. Sauf qu’au Massachusetts, les accords de non-concurrence étaient strictement appliqués à l’époque. Les fabricants bostoniens loupent ensuite le coche de la micro-informatique et laissent la place aux Apple et Microsoft. Dans un livre remarqué de 1994, la politologue AnnaLee Saxenian soutient que les régions présentaient des cultures d’entreprise différentes.

A Boston, les ingénieurs étaient censés travailler toute leur vie pour une seule entreprise. Dans la baie de San Francisco, il est courant qu’ils passent d’une entreprise à l’autre, essaiment les concepts et fondent de nouvelles start-up rivalisant avec leurs anciens employeurs. En 1999, Ronald Gilson relie ce trait culturel aux clauses de non-concurrence. Cette thèse séduisante est évidemment réductrice, mais elle a eu un profond retentissement dans le monde des idées. D’ailleurs, en 2018, le Massachusetts adopta une loi pour limiter l’utilisation de ces clauses.

Si la FTC vient d’en voter l’interdiction générale, les Etats-Unis prennent cependant garde à ne pas se transformer en Far West, ce qui risquerait de décourager les sociétés d’investir en R & D. D’une part, les clauses de non-concurrence pour les cadres supérieurs – moins de 0,75 % des travailleurs – peuvent rester en vigueur dans les contrats existants. D’autre part, la loi sur les secrets commerciaux et les accords de non-divulgation fournissent aux employeurs divers moyens de protéger leurs informations sensibles. Les juges y sont attentifs. Même s’il a été gracié depuis par Donald Trump, le cas d’Anthony Levandowski le rappelle. En 2020, cet ex-ingénieur star de la division de voiture autonome de Google, qui avait fondé la start-up Otto avant de la vendre à Uber, a été condamné à dix-huit mois de prison pour vol de secrets commerciaux.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

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