Assurance chômage : et si on s'intéressait enfin aux milliards qui s'échappent vers la Suisse ?

Assurance chômage : et si on s'intéressait enfin aux milliards qui s'échappent vers la Suisse ?

À Bercy, le concours Lépine des mesures pour renflouer les caisses de l’Etat se poursuit. Dernière annonce en date : un plan antifraude aux aides publiques dévoilé jeudi 2 mai par le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, dans Les Echos. En ces temps de diète budgétaire et alors que le gouvernement entend réformer de nouveau l’assurance chômage espérant notamment y trouver des sources d’économies, ce dernier aurait tout intérêt à se pencher sur un autre sujet majeur : l’indemnisation des travailleurs frontaliers. Un chiffre donne le tournis : en 2020, le déficit de l’Unédic lié à ce poste a atteint 924 millions d’euros. Depuis 2011, la facture cumulée culmine même à près de 7 milliards d’euros. Ce trou béant dans les caisses de l’organisme garant de la bonne gestion du régime d’assurance chômage porte un nom : le règlement européen 883.

D’après ce texte entré en vigueur en 2010, un travailleur frontalier cotise dans l’État où il est employé. En revanche, lorsqu’il est licencié, c’est à son pays d’origine que revient la charge de l’indemniser. Cette règle s’impose aux 27, mais aussi à la Suisse avec laquelle l’UE a conclu un accord bilatéral. Or, le salaire helvétique est largement plus élevé que le français - 4 400 euros brut par mois pour le smic local dans le canton de Genève, contre 1 767 euros brut en France en 2023 - ce qui implique des indemnités beaucoup plus importantes en cas de licenciement outre-Jura. Problème : "Seule une compensation est prévue, mais celle-ci ne couvre pas l’intégralité des coûts supportés par notre assurance chômage, loin de là", déplore le cabinet de la ministre du Travail, Catherine Vautrin.

Le sujet connu depuis longtemps

Le même cas de figure se présente au Luxembourg où les écarts de salaire avec la France ne cessent de s’accroître. "Il n’y avait pas de souci tant que le salaire suisse correspondait au salaire français. Quand les deux montants s’éloignent, les régimes des Etats concernés servent des allocations-chômage qui sont totalement déconnectées", pointe l’économiste Bruno Coquet. Ce vice réglementaire est pourtant connu depuis longtemps. "Il est dans notre viseur depuis plusieurs années. Il faut un courage politique pour en sortir", estime Jean-Eudes Tesson (Medef), élu en début d’année président de l’Unédic.

A plusieurs reprises la France a poussé pour une modification du texte afin de rééquilibrer les comptes, en vain. Deux accords provisoires avaient pourtant été trouvés en 2019 et 2021, mais n’ont pu obtenir la majorité au Comité des représentants permanents des États membres. Ils prévoyaient que l’État qui a perçu les cotisations soit aussi celui qui verse les allocations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois. L’économiste Bruno Coquet milite, lui, pour la création d’un coefficient à intégrer à la formule du calcul de l’indemnité et qui permettrait de pondérer le salaire minimum en France par celui du pays d’emploi. "Pour la Suisse, cela abaisserait le salaire et de fait l’allocation. Inversement, cela relèverait le montant de l’indemnisation en Espagne où le salaire est plus faible", détaille l’expert. Le député Renaissance Xavier Roseren, qui a interpellé début avril Catherine Vautrin sur le sujet, lors d’un débat sur l’assurance chômage, considère que ce coefficient serait difficile à appliquer légalement, car il est "discriminant". D’après lui, "le plus simple serait qu’on tienne compte de la durée de travail en Suisse et que la durée d’indemnisation soit proportionnelle".

L’Etat français trop laxiste ?

Plus récemment, c’est la Belgique, favorisée par ce système, qui a mis son veto à une évolution des règles actuelles. "Nous sommes un peu spectateurs. Seul le gouvernement peut vraiment agir et faire évoluer ce sujet", assure Patricia Ferrand, vice-présidente de l’Unédic et responsable confédérale CFDT. Beaucoup d’acteurs jugent néanmoins la réponse française insuffisante. "L’Etat nous pique 12 milliards d’euros sur les années à venir et à côté nous laisse chaque année avec près d’un milliard de déficit sans agir. Cela arrange tout le monde que l’Unédic paye", avance Jean-Eudes Tesson. "Ce type de dossiers demande un travail de fond sur le long terme. Et comme souvent, le temps politique est plutôt sur le temps court avec une succession de gouvernements différents. A chaque fois, le dossier est remis en dessous de la pile", ajoute Pierre-Loïc Faury, ancien président du Groupement transfrontalier européen (GTE), une association de défense des travailleurs frontaliers sur la frontière franco-suisse rassemblant plus de 30 000 adhérents.

Côté suisse, "on joue la montre et la mauvaise foi", critique Michel Beaugas (Force ouvrière), assesseur de l’Unédic. Reste que "ce n’est pas juste un problème franco-suisse", rappelle Jennifer Raffy, juriste au sein du GTE. Pour autant, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et la présidente de la Confédération suisse, Viola Amherd, ont ouvert le 18 mars dernier des négociations en vue d’approfondir leurs relations bilatérales. Une occasion en or. "Il s’agit d’un round de pourparlers important. Ce serait le moment de mettre le sujet sur la table", reconnaît Pierre-Loïc Faury. De son côté, l’exécutif attend les élections européennes et la fin de la présidence belge en juin pour reprendre en main ce dossier conflictuel. Mais en fonction des résultats, les priorités pourraient rapidement changer.

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