En Inde, la campagne de Modi en pleine dérive antimusulmane

En Inde, la campagne de Modi en pleine dérive antimusulmane

"Les hindous sont en danger." Faute de nouveau projet politique, Narendra Modi reprend une vieille antienne de son parti, le BJP, en pleines élections générales. Le chef du gouvernement, qui vise un troisième mandat et est manifestement en manque d’inspiration après dix ans au pouvoir, s’échine à faire croire que les musulmans, environ 200 millions de personnes sur 1,4 milliard, veulent s’emparer du pouvoir grâce à leur dynamique démographique.

Hors normes, le scrutin est organisé en sept journées, sur la période du 19 avril au 1ᵉʳ juin, entre lesquelles la campagne bat son plein. Le 21 avril, lors d’un meeting dans le Rajasthan, le leader nationaliste hindou a mis tous les maux de l’Inde sur le dos de "ceux qui font plus d’enfants" (les musulmans), qui ne seraient que des "infiltrés" auxquels le Congrès, principal parti d’opposition, se préparerait à donner les clés du pays. Ce fantasme du grand remplacement repose sur des chiffres fournis par le Conseil économique consultatif, placé auprès du Premier ministre.

Entre 1950 et 2015, avance cette instance, la part des hindous dans la population aurait diminué de 7 points, tandis que celle des musulmans aurait bondi de plus de 4 points. Ce "constat" résulte d’une extrapolation de statistiques démographiques datant de 2011 et ledit Conseil se garde bien de rappeler que les musulmans restent très minoritaires, à 14 % de la population, contre 80 % pour les hindous.

En vérité, il faudrait que s’écoulent "plus de mille ans" pour que les musulmans dépassent les hindous, si les taux de natalité des deux communautés demeuraient inchangés, calcule le mathématicien Dinesh Singh. Mais toutes les études scientifiques le montrent : la natalité dépend non pas de la religion mais du revenu et du niveau d’éducation. S’il existe encore un écart de fertilité entre hindous et musulmans, c’est parce que les seconds sont plus touchés par la pauvreté.

A défaut de pouvoir mettre en avant un bilan économique avantageux, l’autocrate d’extrême droite s’en prend quotidiennement au Parti du Congrès, à grands coups de fake news : "Si le Congrès revient au pouvoir, il retirera leur collier de mariage aux femmes hindoues pour le donner aux musulmans" ; "Le Congrès veut voler les quotas d’emplois dans la fonction publique réservés aux basses castes et aux intouchables pour les donner aux musulmans" ; "Le Congrès appelle à voter pour le djihad"… Modi va jusqu’à accuser le parti dirigé par la famille Nehru-Gandhi d’avoir "reçu des cargaisons d’argent illégal" des deux hommes d’affaires les plus riches d’Inde, Mukesh Ambani et Gautam Adani. Gonflé, alors que ces oligarques proches du Premier ministre financent le BJP à tour de bras et ont fait fortune grâce à lui.

"Modi perd pied..."

Les contre-vérités du dirigeant nationaliste sont tellement grossières que ses opposants les recensent sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Modilies ("Modi ment"), créé il y a cinq ans. "Si Modi pense pouvoir faire croire des mensonges si flagrants, c’est que le BJP dispose d’une énorme équipe informatique pour les amplifier sur Internet, ainsi que du soutien total des chaînes de télévision contrôlées par des entreprises privées", note Ram Puniyani, président du Centre d’études sur la société et la laïcité, à Bombay.

Il faut dire que les nouvelles ne sont pas très bonnes pour un homme donné imbattable il y a encore quelques semaines et aujourd’hui sur la défensive. Le taux d’abstention est en hausse (entre 33 et 38 %), ce que certains interprètent comme un signe de désaffection à l’égard du régime. "Modi perd pied, il est pris d’une forme d’hubris qui pourrait finalement le laisser très loin des 400 sièges [sur 543] qu’il vise à la Chambre des députés", estime le politologue Christophe Jaffrelot, directeur de recherche à Sciences Po.

L’opposition se sent pousser des ailes, d’autant que, le 10 mai, la Cour suprême a libéré Arvind Kejriwal, chef du gouvernement régional de Delhi, la région de la capitale, jeté en prison sur ordre de l’équipe de Modi juste avant le scrutin. Depuis, l’intéressé ne cesse d’interpeller le dirigeant nationaliste sur les 75 ans qu’il atteindra en 2025, un âge qui, en Inde, sonne traditionnellement la mise à la retraite. "Modi ne sera bientôt plus Premier ministre", veut croire Rahul Gandhi, chef de file de l’opposition. On n’en est peut-être pas là, mais sa machine de campagne semble tourner à vide.

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