Transition énergétique : la France de demain sera-t-elle moche ?

Transition énergétique : la France de demain sera-t-elle moche ?

C’est une ligne à très haute tension - 400 000 volts - qui électrise le débat. Reliant Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) à Jonquières-Saint-Vincent (Gard), cette installation de RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, longue de 65 kilomètres, doit permettre de décarboner la zone industrialo-portuaire, dont la transition vers l’électrique sera très consommatrice en électrons. Sa mise en service est prévue pour 2028. Mais une partie des élus locaux, dont le maire d’Arles, Patrick de Carolis, ne veut pas en entendre parler. Pas question d'enlaidir le paysage et d'enquiller 150 pylônes de 50 mètres de haut au beau milieu des parcs naturels. Ailleurs, dans la Sarthe, c’est un projet de parc d’éoliennes terrestres qui suscite la colère des habitants. Une douzaine de mâts sur un territoire rassemblant six communes. Avant même leur arrivée, les opposants dénoncent des machines envahissantes, bruyantes, à l'origine de nuisances visuelles.

Un peu partout en France, la presse locale se fait l’écho de ces mobilisations contre les nouveaux projets liés à la transition, et leurs cortège d'effets collatéraux. Aux fâcheries autour des éoliennes et aux lignes électriques s’ajoutent celles concernant les panneaux photovoltaïques, les infrastructures de raccordement à terre des parcs éoliens offshore, ou encore les nouvelles stations de méthanisation, destinées à produire du gaz "vert". Les Français ont-ils raison de craindre un enlaidissement de leur cadre de vie ?

Un boom des infrastructures

Difficile de leur donner tort. Pour tenir ses objectifs de réduction des émissions, le pays doit se transformer radicalement. "La décarbonation de l’industrie impose de remplacer les énergies fossiles par d’autres énergies, renouvelables ou moins émettrices : la construction de nouvelles infrastructures est donc essentielle", souligne la géographe et spécialiste de l’industrie Anaïs Voy-Gillis. Dans de nombreux domaines, la marche à franchir est énorme. D’ici à 2050, la France compte multiplier par cinq sa capacité de production d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques. Côté mer, l’enjeu est tout aussi ambitieux : alors que la part actuelle d’énergie en provenance d’éoliennes offshore est proche de zéro dans le mix électrique français, le gouvernement ambitionne de la porter à 20 % d’ici au milieu du siècle.

Ce n’est pas tout : les infrastructures de transports d’énergie devront, elles aussi, être considérablement renforcées. A commencer par le réseau électrique, dont la mission consistera à acheminer ces nouveaux électrons plus "verts" jusqu’aux usines, ou aux centres urbains. Même chose pour les conduites de gaz, qui à l’avenir devraient permettre d’alimenter les pôles industriels en hydrogène, et de les délester du CO2 capté à la sortie des cheminées d'usines… "De fait, il y aura bien un impact sur le paysage", concède Anaïs Voy-Gillis, soulignant l’importance de la planification territoriale et de la concertation, afin de relever le défi de l’acceptabilité par les riverains.

Limiter les nuisances

En 2022, le Conseil économique social et environnemental (CESE) s’était penché sur ce sujet. Dans un avis, l'institution estimait alors que "les infrastructures énergétiques, très visibles, modifient l’équilibre d’un territoire et son paysage". Il est donc "logique qu’une partie de la population résidente se sente lésée face à cette modification qui peut engendrer des pertes d’aménités en termes paysagers ou de calme". Le CESE préconisait donc de mettre en place des scénarios cartographiques pour les futurs projets.

Les arbitrages s'annoncent difficiles. Pour limiter les nuisances, une bonne partie de ces aménagements devraient avoir lieu dans des zones accueillant déjà des complexes industriels. "Il va y avoir du renouvellement, parfois des substitutions aux infrastructures existantes", confirme Anaïs Voy-Gillis. Les nouveaux réacteurs nucléaires prévus dans le cadre de la relance du parc français doivent ainsi être implantés sur des centrales préexistantes. L’augmentation des capacités photovoltaïques devrait aussi se développer grâce à de petites installations sur les logements individuels ou les entrepôts, limitant le déploiement d’immenses fermes solaires. Enfin, le futur réseau gazier pouvant transporter de l’hydrogène et du CO2 a l'avantage d'être majoritairement enterré. "L'impact visuel sera faible", promet Geoffroy Anger, le responsable du pôle hydrogène chez GRTgaz. Mais pour l'heure, les tracés, qui dépendent des volumes produits, ne sont pas encore définis.

L’importance prise visuellement par la transition énergétique sera l'occasion de réfléchir à la place de l’énergie dans notre quotidien et de s'habituer à sa présence dans le paysage, soulignait une publication de l'École nationale supérieure de paysage, consacrée au sujet. Une manière de se rendre compte concrètement de notre consommation, et peut-être ainsi de favoriser des pratiques plus sobres, dans un deuxième temps. Un mal pour un bien.

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